Depuis quelques années, on parle beaucoup au Québec de l’importance de découvrir notre nordicité, une dimension fondamentale de notre identité et de notre culture. Or, il suffit de regarder une carte de la province pour constater que, le plus souvent, on se promène dans le sud, même lorsqu’on a l’impression de « monter dans le nord », comme le veut l’expression consacrée.
Mais que diriez-vous d’aller vraiment dans le nord ? Oh, pas bien loin ! Pour une initiation, il suffit d’aller se frotter au 49e parallèle, là où le Nord, au fond, ne fait que commencer. C’est ce que permet l’une des plus belles promenades sur les routes du Québec, un itinéraire qui consiste à faire une grande boucle jusqu’à Chibougamau sur la route 167, et qui se poursuit par la route 113, en passant par Chapais et Waswanipi, pour redescendre à Lebel-sur-Quévillon.
Chibougamau sera votre première destination. Commençons ce voyage en brisant un mythe qui persiste depuis trop longtemps dans notre imaginaire collectif. Dans le langage québécois courant, on entend souvent dire « passer par Chibougamau » pour signifier qu’on fait un détour très lointain dans un coin perdu, au milieu de nulle part. C’est faux. D’abord, non, ce n’est pas loin, Chibougamau. En tout cas, pas plus loin qu’ailleurs. En partant de Montréal, il vous faudra un peu plus de huit heures pour vous y rendre en passant par la magnifique route 155 qui longe la rivière Saint-Maurice jusqu’au lac Saint-Jean, où vous ferez une courte pause pour ensuite attaquer les quelque 230 kilomètres qui séparent Saint-Félicien du centre-ville chibougamois. De Québec, il vous faudra environ six heures en passant par la réserve faunique des Laurentides. Voilà, c’est dit, plus question d’hésiter sous prétexte que c’est à l’autre bout du monde. C’est même un peu le contraire… À l’échelle du Québec, en roulant vers Chibougamau, on se rapproche du centre du monde !
Et franchement, vous ne verrez pas le temps passer. Dès qu’on est sur la route 167, il se produit une sorte d’envoûtement, comme si on était aspiré par le territoire, qui semble s’agrandir à mesure qu’on avance. Officiellement, le territoire d’Eeyou Istchee Baie-James commence quelques kilomètres après la réserve faunique Ashuapmushuan ; mais la route fait ici partie de l’expérience initiatique. Le voyage est indissociable de la destination. Il suffit de rouler un peu pour être complètement absorbé par un sentiment d’immensité, alors qu’on s’éloigne des tumultes de la vie urbaine et que de part et d’autre de la route, on prend conscience qu’il n’y a que de grandes étendues d’eau et de forêt à perte de vue. C’est quelque chose que l’on ressent, un sentiment très clair qu’il suffit d’avancer et se laisser aller.
Quand finalement se dresse sur la route le panneau routier sur lequel le gouvernement régional d’Eeyou Istchee Baie-James nous souhaite la bienvenue — en français, en anglais et en cri —, plus aucun doute, on est ailleurs.
Cette route, d’une douceur incomparable, se fait toute seule jusqu’à Chibougamau, où l’on arrive un peu grisé par ce vertige du territoire. La ville de plus de 7600 habitants se dresse comme une oasis où, évidemment, il faut s’arrêter. L’ambiance est bonne sur la 3e Rue qui a conservé des allures de Boomtown et la toute nouvelle microbrasserie Maître Renard, qui jouxte l’Hôtel Chibougamau, y est pour quelque chose. Les quatre copropriétaires de cette brasserie-restaurant qui, dans ses brassins, met en valeur les saveurs de produits forestiers tels que le thé des bois et le myrique baumier, avaient bien l’intention de créer un lieu de rassemblement pour les résidents, mais aussi de fournir une belle raison de s’arrêter sur la route des microbrasseries, histoire de boucler la boucle entre l’Abitibi et le Lac-Saint-Jean. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ont gagné leur pari. Il suffit de s’y pointer en fin de journée pour constater à quel point l’endroit a été adopté par la population chibougamoise et les nombreux visiteurs de passage pour le travail ou le tourisme.
Il n’en reste pas moins que le principal attrait de Chibougamau, c’est la proximité immédiate de territoires sauvages. Il suffit de faire quelques pas pour se retrouver au bord de lacs immenses ou en pleine forêt. Une simple balade dans les alentours, sans but précis, permet de s’en rendre compte. Pensez-y un peu, le lac aux Dorés, à un jet de pierre du centre-ville, fait plus de 23 kilomètres de long et 5 kilomètres de large. Le lac Chibougamau s’étend, lui, sur 206 km2. Les petits chemins qui permettent de se faufiler dans les environs sont garnis de cours d’eau, de marais, de plages et de cascades. Pas question donc de visiter la région sans se payer une bonne immersion en forêt. Pour ce faire, regardez du côté de FaunENord, un organisme qui travaille en partenariat avec la microbrasserie Maître Renard pour la cueillette de produits forestiers non ligneux. Cette entreprise d’économie sociale offre des sorties d’interprétation en forêt. Si la cueillette de plantes forestières et de champignons sauvages vous intrigue ou fait partie de vos loisirs favoris, la région vous offre tout un terrain de jeu pour vous initier ou assouvir votre passion.
Pour un séjour en forêt et vous lancer dans une exploration du territoire, vous pouvez partir à l’aventure à quelques kilomètres de Chibougamau dans les réserves fauniques Assinica et Lacs-Albanel-Mistassini-et-Waconichi. Ne vous laissez pas intimider par l’idée qu’il faut être un chasseur ou un pêcheur expérimenté pour profiter de ces milliers de lacs et ces kilomètres de forêt. La Corporation Nibiischii, administrée par la Nation crie de Mistissini, offre un service de villégiature, notamment sur le site du lac Waconichi, où louer des chalets flottants, se baigner ou encore faire du kayak et de la planche à pagaie.
Voyager dans ce coin de pays, c’est inévitablement entrer en contact avec la culture crie, qui se déploie un peu partout et est bien visible dans le développement économique, touristique et social de la région. À ce titre, une visite à Oujé-Bougoumou est un détour essentiel. La communauté, installée en bordure du lac Opémiska, à une soixantaine de kilomètres de Chibougamau, administre un impressionnant centre culturel, un magnifique bâtiment abritant un musée entièrement consacré à la conservation et à l’interprétation de tous les aspects de la culture des peuples installés ici et qui revendique fièrement leurs traditions et leur appartenance au territoire. N’ayons pas peur des mots, c’est l’une des plus belles institutions muséales de la province et à l’heure de la réconciliation, c’est avec une certaine émotion qu’on découvre la profondeur du travail de mémoire et de mise en valeur qui y est fait.
Après avoir exploré les environs de Chibougamau, c’est la route 113 qu’il faut emprunter vers Lebel-sur-Quévillon en passant par Chapais et Waswanipi. Il vous faudra trois bonnes heures pour parcourir les 260 kilomètres de ce tronçon de route qui vous mènera à l’autre porte d’entrée de cette portion de la Jamésie. Prenez votre temps en vous arrêtant en chemin, ne serait-ce que pour écouter le silence complet qui enveloppe la route. À Chapais, passez quelques instants au cimetière, un peu en retrait de la ville, pour porter un regard serein et discret sur le petit bois où les défunts de la Nation crie reposent en paix. Ce conseil peut sembler un brin curieux, mais le calme du lieu, imprégné des souvenirs qui décorent les sépultures, est d’une grande beauté. Ensuite, tout le long du chemin, ce sont des épinettes, des lacs, des rivières et de gigantesques postes d’Hydro-Québec qui vous accompagneront.
À la fin de ce périple, la jolie ville en bordure du lac Quévillon vous attend avec une récompense pour tout ce chemin parcouru : une magnifique plage de sable, impeccable, bien aménagée et accessible, où vous pourrez faire un bon plongeon dans une eau rafraîchissante. Cette municipalité, située tout juste au-dessus du 49e parallèle, avec ses sentiers qui donnent sur le lac, a définitivement un petit quelque chose de balnéaire. Eh oui, qu’on se le tienne pour dit, c’est ça, aussi, découvrir la nordicité !
—————
Quelques conseils pratiques
Même si vous ne prévoyez que de prendre les routes 167 et 113, du Lac-Saint-Jean à l’Abitibi, nous vous recommandons de suivre ces quelques conseils tout au long de votre aventure. C’est vrai partout au Québec, mais plus encore dans ces régions : pensez à avoir avec vous de la nourriture, des vêtements chauds et adaptés aux intempéries, une bonne réserve d’eau, une trousse de premiers soins et du matériel de camping (réchaud, bougies, briquets, gamelle, etc.). Repérez aussi avant de partir les stations d’essence et faites le plein chaque fois que c’est possible, même si votre réservoir n’est pas encore vide. Ainsi, vous ne serez pas embêtés s’il vous prend l’envie de faire un détour imprévu. Ce n’est pas pour vous faire peur, bien au contraire, mais en cas de pépin, les services de dépannage peuvent être loin, et longs à arriver. De plus, le réseau cellulaire n’est pas disponible partout. Utilisez une application comme map.me, qui permet de télécharger les cartes au préalable et de vous situer sur ces dernières avec le signal GPS de votre téléphone, même lorsque vous n’avez pas de données. Finalement, assurez-vous d’avoir un véhicule en bon état et munissez-vous d’un vrai pneu de rechange, monté sur une jante en bonne et due forme, et pas simplement d’une roue de secours. Encore une fois, il n’y a pas plus à craindre ici qu’ailleurs, et tout bon voyageur devrait suivre ces conseils partout au Québec. C’est simplement que par ici, s’arrêter au prochain village, cela peut signifier de parcourir quelques centaines de kilomètres… L’association touristique régionale donne de bons conseils sur son site et dans ses publications pour que vous puissiez partir l’esprit en paix.