Tout a commencé par un souper entre amis durant lequel nous avons évoqué l’idée de faire un périple routier, dans le but de cueillir des champignons et de contempler de nouveaux paysages avant la fin de l’été. Voir du pays ? Faire de la route ? J’avais justement envie de monter jusqu’à la Baie-James depuis un bon bout de temps. Les choses auraient pu en rester là, comme bien des projets dont on parle vaguement, en se disant qu’on les réalisera peut-être un jour. Mais pas cette fois : le lendemain, nous étions devant nos ordinateurs à organiser cette escapade et le jour suivant, nous bloquions une semaine de vacances dans nos agendas. La route Billy-Diamond nous appelait, impossible d’y résister ! Un mois plus tard, nous quittions Montréal en direction de Chisasibi.
Pour partir du bon pied, nous choisissons de passer la première nuit de ce périple à Matagami, à quelques pas du « kilomètre zéro », là où commence officiellement la fameuse route qui nous mènera jusqu’au nord du 53e parallèle. Sur le bord de la rivière Bell, le Gîte de la belle rivière vient d’être repris par Nathalie Pomerleau, qui prépare le petit-déjeuner dès que les premiers rayons du soleil percent les brumes matinales. La nouvelle hôtelière, une fille de la région, a passé toute sa vie à travailler sous terre, dans la mine, comme superviseure. Elle veille désormais au confort des visiteurs avec aplomb. Son auberge, c’est un peu le poste relais des dizaines de voyageurs et de travailleurs qui montent vers le Nord ou qui en reviennent.
Pour se lancer dans l’exploration de la route Billy-Diamond, il faut partir tôt de Matagami. Pas question de faire la grasse matinée. Il y a de nombreux kilomètres à avaler avant d’arriver à un endroit où l’on peut poser ses valises et bien des choses à voir en chemin. Si d’aventure un imprévu doit se produire, il vaut mieux avoir du temps devant soi.
Nous nous levons donc à l’aube pour nous rendre à la guérite du bureau touristique, où nous devons nous inscrire. C’est déjà en soi une forme de rituel d’initiation, qui fait partie de l’expérience, un passage bien marqué. Nous prenons soin de nous munir d’une carte, sur laquelle les arrêts et les lieux d’intérêt sont indiqués par des repères kilométriques. Le document d’accompagnement détaillant les installations à chaque halte routière nous sera aussi fort utile.
C’est ainsi qu’à la lumière matinale, nous commençons la lente remontée qui nous mènera au kilomètre 581, où nous ferons un arrêt pour saluer Sylvain Paquin, sympathique homme des bois à qui nous avons promis de rendre visite.
La route est douce et invitante. Alors que nous nous éloignons de Matagami, nous prenons la pleine mesure de l’immensité du territoire dans lequel nous nous enfonçons. La route Billy-Diamond est ce qu’on appelle une « route isolée », c’est-à-dire qu’elle ne traverse aucun village et à l’exception du relais au kilomètre 381, où il est possible de faire le plein et de se procurer quelques denrées de base, aucun service n’est offert sur le trajet. Il n’y a ni signal cellulaire ni données non plus. Pour avoir l’esprit tranquille, nous avons loué un appareil téléphonique satellite pour la semaine, que nous pourrons utiliser en cas d’urgence.
Malgré ce sentiment d’éloignement teinté de solitude, les aires de repos sont si bien aménagées, dans des lieux d’une grande beauté, que nous avons l’impression d’être accompagnés. Certains arrêts disposent même de sites de campings rustiques. Dès notre première pause au bord du lac Ouescapis, au kilomètre 80, nous rencontrons des campeurs qui remballent leurs tentes avant de repartir vers le sud. Tout isolée qu’elle soit, cette route étonnante offre sur son parcours certaines des plus belles haltes routières du Québec, au kilomètre 257 par exemple, aux abords de la rivière Rupert, ou au kilomètre 395, où croise la rivière Eastmain. On s’y arrête d’ailleurs pour prendre un peu de repos, mais surtout pour admirer le paysage et saluer les autres voyageurs, avec qui il semble tout naturel d’échanger quelques mots, pour savoir d’où ils viennent et où ils vont.
Comme prévu, au terme d’une splendide journée de route, nous retrouvons Sylvain Paquin au kilomètre 581. Le sympathique gaillard, ermite des temps modernes, ami des loups, des ours et fin observateur des champignons matsutakes, habite en solitaire dans un chalet autonome à une quarantaine de kilomètres au sud de Radisson. Arrivé ici il y a plus de vingt ans pour rendre visite à un ami, Sylvain n’est jamais reparti. Il a trouvé demeure sur l’ancien Camp des pins, situé sur la ligne de trappe de la famille Cox, des Cris de Chisasibi avec qui il a tissé des liens de fraternité. Il arpente depuis la moindre parcelle de terrain des environs, qu’il connaît par cœur, allant jusqu’à donner des noms aux loups qu’il observe et photographie.
Après deux jours d’exploration forestière, nous quittons Sylvain en matinée pour continuer notre périple vers Chisasibi.
Nous avons prévu un détour à la fameuse centrale électrique Robert-Bourassa, un monument d’ingénierie du Québec moderne. Nous en avons bien sûr entendu parler, on nous a dit que c’était gigantesque, mais il faut vraiment le voir pour le croire. Les occasions de se sentir petit en parcourant cet immense territoire sont nombreuses ; ici, on se sent minuscule. Tout semble démesuré, de l’évacuateur de crues surnommé « l’escalier de géant » jusqu’au réservoir qui a des allures de mer intérieure.
Au moment de notre passage, la saison des visites de la centrale est terminée. Il est tout de même possible de prendre rendez-vous, en fonction des disponibilités des responsables du site. Dans tous les cas, en haute comme en basse saison, il faut impérativement réserver. Quoi qu’il en soit, se promener sur le site suffit à mesurer la prouesse technique. Nous y passons plusieurs heures avant de reprendre notre route.
Nous roulons lentement pour parcourir la centaine de kilomètres qui sépare Radisson de Chisasibi. En arrivant à l’auberge Maanitaaukimikw Inn en bordure de La Grande Rivière, où nous avons réservé une chambre pour deux nuits, je suis habité par une agréable impression de dépaysement. Après une brève et très sympathique conversation avec Gregg Kanatewat, notre hôte, qui s’assure que nous sommes bien installés, nous avons hâte d’aller explorer les environs.
Après Chibougamau, Chisasibi est la localité la plus peuplée du Nord-du-Québec. C’est aussi la municipalité la plus éloignée à être desservie par une route. Nous avons beau nous dire que nous sommes au Québec, nous sommes en réalité ici en visite chez les Cris et nous avons un peu le sentiment d’être étrangers. Les noms des rues, la langue des panneaux de signalisation, la disposition des lieux ne laissent aucun doute : il y a là une culture que nous ne connaissons pas et qui invite humblement à la découverte.
À Chisasibi, le Centre culturel et du patrimoine fait un peu office de poste d’accueil et permet de briser la glace. À la fois lieu de conversation et de conservation, ce musée sert autant de point d’ancrage pour la communauté que de porte d’entrée pour les visiteurs. À se familiariser avec cette culture et à découvrir cette communauté, nous nous sentons petits, encore une fois. Plus nous en apprenons et plus nous réalisons tout ce qui nous échappe. Ces premiers pas ne font que confirmer que le chemin de la réconciliation avec les Premières Nations, c’est aussi une longue route sur laquelle il faut avancer lentement, en prenant son temps. Il ne faut pas être pressé.
C’est en pensant à tout ce chemin qu’il reste à parcourir pour mieux faire connaissance que nous nous sommes rendus sur les rives de la Baie-James, à 20 km de Chisasibi, où le soleil couchant nous avait réservé tout un spectacle. Impossible d’aller plus loin, nous étions rendus au bout du monde et le ciel, fantastique, garni d’orages lointains et de nuages colorés, allait nous confirmer une fois de plus que nous sommes bien petits devant ce territoire.
C’est ainsi que l’aventure, au fond, ne fait que commencer. En regardant le soleil se coucher sur la baie James, nous réalisons que nous ne sommes pas arrivés à destination et qu’il faut sans doute plusieurs semaines pour explorer en profondeur cette immensité que nous venons à peine de toucher du doigt. Sur le chemin du retour sur la route Billy-Diamond, en direction sud, nous sommes convaincus d’une chose : cette première exploration est une invitation qui s’accompagne d’une promesse, celle de revenir, pour aller encore plus loin.
QUELQUES CONSEILS AVANT DE PARTIR À L’AVENTURE
➔ Même si vous ne prévoyez pas de faire du camping, apportez ce qu’il vous faut pour être autonome et ne manquer de rien pendant quelques jours en cas de pépin (sac de couchage, réchaud, bougies, briquets, gamelle, trousse de premiers soins, insecticide, etc.).
➔ Ne partez pas à l’improviste. Réservez votre hébergement et vos visites et annoncez votre venue. À Chisasibi et dans les autres communautés cries, prenez contact avec les responsables touristiques, pour obtenir des renseignements et demander conseil.
➔ Apportez des vêtements chauds et adaptés aux intempéries. Voyager vers le Nord ne signifie pas nécessairement qu’il fera froid ; mais là comme ailleurs, la météo peut vous surprendre, et vous ne trouverez en chemin aucune boutique pour vous dépanner.
➔ Il n’y a pas de réseau cellulaire entre Matagami et Radisson. Un Wi-Fi public est offert au relais routier du kilomètre 381. Pour vous repérer en chemin, utilisez une application comme map.me, qui permet de télécharger des cartes au préalable et de vous situer sur ces dernières avec le signal GPS de votre téléphone, même lorsque vous n’avez pas de données.
➔ Si, pour une raison ou une autre, votre GPS vous indique de prendre un chemin forestier, n’y prêtez pas attention : demeurez sur la route asphaltée. Il n’y a qu’une seule route, la Billy-Diamond, et c’est celle qu’il faut suivre en tout temps.
➔ Apportez une bonne réserve d’eau et de nourriture pour être autonome. Il y a des épiceries à Matagami, à Radisson et à Chisasibi, mais rien entre les deux, sauf quelques produits de base au relais routier du kilomètre 381.
➔ Assurez-vous d’avoir un véhicule en bon état et, si possible, munissez-vous d’un vrai pneu de rechange, monté sur une jante, pas simplement une roue de secours. La route Billy-Diamond est en très bon état et la conduite est agréable. Il n’y a pas plus à craindre ici qu’ailleurs au Québec, mais, dans ce coin de pays, on ne peut tout bonnement pas s’arrêter au garage, au village suivant.
➔ Faites le plein d’essence chaque fois que c’est possible.