La forêt boréale autrement

La Forêt Montmorency fournit la preuve par l’exemple qu’il est possible d’exploiter la forêt boréale de manière durable et responsable, au plus grand plaisir des amateurs de plein air.

Aux premiers abords, rien ne permet de croire que la Forêt Montmorency détient le titre de plus grande forêt d’enseignement et de recherche au monde. Sa porte d’entrée, un panneau aux couleurs de l’Université Laval planté en bordure du kilomètre 103 de la route du parc des Laurentides, ne paie franchement pas de mine. Rien, en tout cas, pour concurrencer l’affiche criarde de moineau rôti se trouvant quelques bornes plus loin, à L’Étape. «Tiens, la Forêt Montmorency», se disent quantité d’automobilistes qui filent à toute allure sur la 175, sans toutefois prendre le temps de s’arrêter. Pourtant, la mention «ouvert au public», elle aussi bien visible, devrait leur mettre la puce à l’oreille.

Virage à droite: on s’engage sur le chemin forestier qui mène au pavillon principal, en pleine Boréalie. Le bâtiment à l’architecture audacieuse en forme d’hémicycle et au charme rétro a été construit peu après la fondation de la Forêt Montmorency, en 1964. Encore aujourd’hui, il est au cœur de sa mission; c’est de ce camp de base que se déploient toutes les activités de plein air, éducatives et de recherche sur les 412 kilomètres carrés de territoire. On y trouve notamment 56 chambres avec salles de bain partagées, une cafétéria qui sert 45 000 repas par année et des employés affairés, dont Hugues Sansregret, directeur des opérations de la Forêt Montmorency. «Notre quotidien est dicté par les saisons: il y a toujours quelque chose à faire», indique le biologiste de formation.


L’été, la Forêt Montmorency voit défiler son lot d’adeptes de grands espaces. Ils sont bien servis: on y retrouve sept sentiers de randonnée pédestre de 1,7 à 12,1 kilomètres, dont celui vers la chute de la rivière Noire, haute de 28 mètres. On peut également pratiquer la pêche en lac ou en rivière, s’initier à la pêche à la mouche en compagnie d’un guide-instructeur ou participer aux activités sur le thème «De la forêt à l’assiette», qui combinent plein air, apprentissage et gastronomie boréale. La cerise sur le sapin baumier? Les Concerts fauniques, des spectacles d’une heure et demie interprétés par des musiciens installés dans des canots sur le lac Bédard, sorte d’amphithéâtre naturel à l’acoustique exceptionnelle. La lueur des étoiles, de la lune et de quelques chandelles fait office d’éclairage.

Difficile conciliation

L’offre récréative n’est pourtant que la pointe de l’iceberg. «J’aime dire que c’est la vitrine, le premier contact avec la Forêt Montmorency et sa mission unique en son genre», souligne Hugues Sansregret. Celle-ci se résume en bien peu de mots: promouvoir un modèle d’aménagement durable et responsable de la forêt boréale et de ses ressources nombreuses. Cela signifie de gérer le territoire de manière à concilier la faune, la flore et la présence humaine, sous la forme de pleinairistes, mais aussi de chercheurs. En tout, plus de 80 projets de recherche et d’enseignement se déroulent simultanément à la Forêt Montmorency, dans des domaines comme les sciences forestières, la géomatique, les changements climatiques, le marketing, le tourisme et même l’archéologie.

«Nous sommes véritablement un gigantesque laboratoire à ciel ouvert. La seule différence: des visiteurs s’y baladent en toute liberté!», affirme Évelyne Thiffault, présidente du comité scientifique et d’aménagement de la Forêt Montmorency. Ces derniers sont d’ailleurs considérés comme partie prenante de la recherche. Par exemple, un randonneur peut se voir demander, au détour d’un sentier, de répondre à un questionnaire sur la beauté d’un paysage aménagé. Plus loin, on peut l’interroger sur sa perception d’une coupe forestière récente et le sensibiliser du même coup à ses bien-fondés. «On ne dissimule pas nos travaux. Au contraire: nous les mettons de l’avant, les expliquons, afin d’éduquer les gens», dit-elle. Les barbaries mises en scène dans le documentaire-choc L’erreur boréale il y a 20 ans appartiennent, selon elle, au passé.

Il a néanmoins fallu attendre la fin des années 1980 avant que la Forêt Montmorency ouvre ses portes au grand public. À ses débuts, elle était la chasse gardée des forestiers de la Faculté d’arpentage et de génie forestier. André Demers se souvient bien de cette époque; il a servi comme ingénieur résident à la Forêt Montmorency de 1966 à 1971 avant de faire carrière dans la fonction publique. «Il faut se replacer dans le contexte: le Québec était en pleine Révolution tranquille. Les fondateurs de la Forêt étaient des visionnaires qui ont su voir loin dans le temps. Ils ont de quoi être fiers», fait-il valoir. À l’occasion du 50e anniversaire de la Forêt Montmorency, André Demers a d’ailleurs remis le casque de sécurité blanc d’ingénieur forestier qu’il arborait jadis. L’objet signé par les membres de l’équipe d’alors se retrouve derrière une vitrine du pavillon principal. Une autre bonne raison de signaler à droite sur la 175.

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