C’était en septembre 2016. La météo était magnifique. Parti de Scott, en Beauce, pour parcourir les rangs de la région, je cheminais à travers les champs, toutes fenêtres ouvertes, par le rang Saint-Henri pour me rendre à Sainte-Agathe-de-Lotbinière en passant par Saint-Patrice-de-Beaurivage. La veille, j’avais fait mon repérage sur la carte et j’étais habité par la ferme intention d’aller sillonner quelques sentiers à la recherche de champignons. Le parc de la chute Sainte-Agathe, au bord de la rivière Palmer, me semblait être un plan idéal. En ce vendredi matin, sur le tournant de l’été, j’allais sans doute y avoir la paix, que je me disais.
C’est donc très souriant, coiffé de mon chapeau de paille, armé de mon panier et de mon opinel, que je me suis présenté à la petite guérite à l’entrée du parc. Un jeune type, fort sympathique, m’aborda avec peu de mots, mesurant sans aucun doute ma volonté de me garer au plus vite pour partir à l’aventure.
— Bonjour, monsieur, vous venez pour le festival?
— Le festival? Ah, non. Je viens pour me balader dans le parc et observer la nature.
— D’accord, alors garez-vous plutôt par là, car le site est en préparation pour les spectacles de ce soir et les festivaliers commencent à arriver.
Je ne le savais pas encore, mais je venais de découvrir un haut lieu de la culture, dissimulé au fond des terres, sur un site magnifique où la nature elle-même se présente comme un fond de scène.
Vous auriez dû me voir, avec mon costume de randonneur des sentiers, m’avancer vers cette faune qui, visiblement, se préparait pour tout un party nocturne qui n’avait pas grand-chose à voir avec la randonnée ou la mycologie. Ce qui se tramait là, c’était le Timeless Festival, un rendez-vous où la musique électronique est mise à l’honneur. Ici, on avait monté un abri devant une scène, sous lequel s’empilaient des matelas de toutes les couleurs, là, divers objets hétéroclites décoraient la forêt, plus loin, on avait monté une tente où on donnait des ateliers de massages tantriques – je ne suis pas certain pour le tantrique, mais bon. Bref, un peu partout sur le site, on en était aux derniers préparatifs. En bas, au bord de la rivière, au pied de la grande chute, qui est magnifique, on empilait tout un bazar d’enceintes acoustiques tandis que partout au hasard des sentiers, on terminait d’assembler ce qui allait sans doute devenir le théâtre d’une nuit blanche rythmée et dansante.
Je n’ai pas trouvé de champignons ce jour-là. Je suis parti deux heures plus tard, le temps de prendre quelques photos. Un peu à regret, j’aurais aimé voir la suite.
J’ai gardé cet épisode en mémoire jusqu’à ce printemps, au moment où je commençais à sentir monter en moi le désir d’aller croquer des kilomètres de chemins inconnus. Dès que les beaux jours se pointent dans la météo, c’est plus fort que moi, je sors mes cartes routières, mes calepins de route, mon opinel et mon panier. Je me disais que je devrais bien retourner par là, dans Lotbinière, et même y planter ma tente un soir ou deux. Vers la mi-avril, donc, je tentais de trouver qui pourrait m’en dire plus sur ce parc qui s’était ainsi taillé une place dans mes souvenirs.
Ti-Loup, Sébastien Gaumont de son vrai nom, répond à mon appel, acceptant de prendre une pause dans ses travaux de préparation de la saison. Avec ses collègues, ils sont en train de repeindre le restaurant. Il faut savoir que le terrain, propriété de la municipalité de Sainte-Agathe-de-Lotbinière, est administré par un organisme à but non lucratif qui en assure l’entretien et qui organise la programmation d’événements et de spectacles. Un organisme où règne un esprit de coopérative et où chacun met la main à la pâte.
«On ne fait pas juste une chose ici, me raconte-t-il, on fait tous un petit peu de tout. Le restaurant a déjà quelques années, alors on a décidé qu’on rafraîchissait le look et qu’on faisait quelque chose de nouveau. On est en train de le rajeunir en petit café, qui va nous donner une ambiance plus chaleureuse. Nous sommes six personnes à y travailler à temps plein, c’est notre emploi régulier, et nous engageons aussi quatre à cinq étudiants par année pour la saison estivale. Depuis trois ans, nous avons vraiment développé l’offre culturelle. Oui, il y a les festivals de musique électronique, mais aussi des spectacles plus familiaux.»
C’est lui, Ti-Loup, qui concocte cette programmation culturelle, à commencer par le festival Triskel, un événement électronique et folk qui s’installe au parc tous les ans au début du mois de juin. Au fil de l’été se suivent ensuite, presque tous les samedis, des spectacles en tous genres. Les 10, 11 et 12 août prochain, c’est le festival «déjanté» Contabadour qui attirera les amateurs de contes, chanson et cirque, avec Mononc’ Serge en tête d’affiche. Une occasion de découvrir des artistes moins connus comme Thérémine, Fogo Rato et Thomas Langlois. Cette offre culturelle dans ce lieu magnifique ne serait pas possible sans un solide esprit de coopération. «Ici, l’équipe au complet, on est toute une gang, tient à préciser Ti-Loup, on est trois générations parmi les employés. Souvent, quand je programme les spectacles, je vais demander l’avis de tout le monde, pour aller chercher le plus de gens possible.» Un travail d’équipe qui engage aussi régulièrement les efforts de citoyens de la région qui prennent part à des corvées. «Chaque année, il y a toujours une trentaine de personnes qui nous donnent un coup de main, comme aujourd’hui, comme je te parle, le niveau d’eau de la rivière a tellement monté qu’on se retrouve avec des arbres sur la plage. Il y a des bûcherons qui viennent nous aider, ils coupent les troncs, ils nous préparent du bois pour les campings. On les remercie avec des passes pour la saison, des nuitées de camping gratuites. Chose certaine, au niveau local, c’est vraiment une fierté d’avoir cet endroit ici.»
Voilà un lieu comme on les aime, où le travail d’équipe entre citoyens, la beauté du paysage et l’inspiration de créateurs issus de divers horizons convergent vers le même objectif: garder vivant un site magnifique et le rendre accessible pour tous. Un lieu qu’on aurait presque envie de garder secret. Allez, chut!