Il était une fois un gâteau qui goûtait le ciel

Nous l’avons tous remarqué à l’épicerie et nombreux sont ceux qui y ont déjà succombé. Léger, soyeux et résolument gourmand, le Beauceron à l’érable est un vrai péché mignon. Le doux gâteau représente le travail d’un homme, la fierté d’une région et notre symbole national.

Et dire que tout a commencé par un plan de retraite. Dans le petit village d’à peine 1500 âmes de Tring-Jonction, Michel Beaudoin, chef propriétaire de deux restaurants du coin, constatait que son gâteau à l’érable plaisait beaucoup à ses clients. Et comme il rêvait depuis très longtemps de commercialiser un produit qui lui permettrait de vivre sans avoir à s’échiner dans une cuisine, il s’est dit que ce dessert serait exploitable à plus grande échelle.

« Et j’ai finalement travaillé pendant plus de quatre ans à son élaboration », avoue-t-il. Il faut dire que l’entrepreneur désirait produire, à une époque où l’on n’en voyait pas encore dans la grande diffusion alimentaire, des gâteaux locaux congelés, réalisés avec des ingrédients naturels.

Un autre défi de taille l’attendait dans ses propres pénates, puisqu’il devait convaincre sa douce moitié de la viabilité de son projet. Cette dernière lui avait d’ailleurs lancé, le plus sérieusement du monde : « Écoute, si tu arrives un jour à vendre 150 gâteaux par semaine, on pourra alors se passer des restaurants. »

La recette parfaite

Alors, notre homme s’est mis à l’ouvrage. Tout d’abord en travaillant d’arrache-pied sur la recette de son gâteau, que nous connaissons aujourd’hui à travers le Québec et qui est reconnaissable au premier ingrédient qui le compose : l’érable. Pas du sirop de sucre parfumé à l’érable ni du sirop de poteau qui aurait coûté moins cher, mais du sirop d’érable foncé 100 % pur produit en Beauce, que le chef transforme en un généreux crémage qu’il dispose entre chaque couche d’un gâteau blanc.

Pourquoi avoir fait un tel choix ? « Parce que je suis fier de ma région et que, comme tout Québécois, j’adore l’érable, dit l’entrepreneur. Mais aussi parce que je trouvais malheureux qu’une de nos plus belles et accessibles ressources locales — avec ses 1066 producteurs et 5,5 millions d’entailles, la Beauce est une grande productrice de sirop d’érable — parte sous forme de barils anonymes plutôt que d’être travaillée ici. »

Michel Beaudoin dans son atelier de production

Évidemment, en mettant en vedette du vrai sirop d’érable, il était hors de question de gâcher le gâteau désiré avec des agents de saveur ou de conservation chimiques. Michel Beaudoin a donc fait de nombreux essais-erreurs avant de trouver une formulation naturelle qui convienne au principe de la congélation. « Tout allait bien en fait, jusqu’à la dernière étape de production. Le gâteau était beau, sain et bon. Et puis, patatras, dès qu’on le décongelait, il ne se tenait plus ! C’était tellement frustrant », lance le chef, qui a dû faire preuve de beaucoup de détermination pour maîtriser ce dernier volet.

Ce travail de longue haleine lui a néanmoins permis, parallèlement à ses tests culinaires, de réaliser une ingénieuse étude de marché en s’associant à des levées de fonds étudiantes. « Plutôt que des barres de chocolat, les élèves vendaient mon gâteau, et ça me permettait du même coup de rejoindre toutes les générations et de savoir si mon projet avait de l’avenir. » Ce qui a été le cas, semble-t-il, puisque de plus en plus de parents et de grands-parents contactaient le restaurant pour commander ce fameux Beauceron à l’érable.

Une irrésistible ascension

En 2006, Michel Beaudoin est enfin parvenu à obtenir la formulation parfaite pour son gâteau. Mais voilà, ce n’est pas en vendant cinq ou six gâteaux par semaine qu’il allait concrétiser son rêve. Alors, l’entrepreneur est allé solliciter deux épiceries IGA de son coin, qui ont goûté son gâteau, écouté son concept… et accepté de le distribuer.

« Sincèrement, je ne savais pas du tout où ces premières approches m’amèneraient », avoue celui qui ignorait encore tout de la grande diffusion et ne pouvait cuire dans le four de son restaurant que six gâteaux à la fois. Mais le coup d’envoi était lancé. L’entrepreneur a rapidement dû s’initier aux normes du MAPAQ, aux contenants et aux étiquettes propres à ce milieu. Et augmenter drastiquement sa capacité de production, puisqu’il vendait dorénavant une soixantaine de gâteaux chaque semaine.

Bientôt la cuisine du restaurant n’a plus suffi aux commandes. Michel Beaudoin et sa femme ont donc décidé d’agrandir celle de leur deuxième restaurant, afin d’approvisionner, non plus 2, mais 21 épiceries. Leur objectif de 150 gâteaux par semaine était atteint. « Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? », se sont-ils dit.

C’est là que le petit projet de retraite initial s’est transformé en une vaste offensive gourmande. De fil en aiguille, le Beauceron à l’érable s’est retrouvé dans 80 IGA, et son format unique de 1,5 kg s’est portionné en de plus petites cellules familiales. Et bang ! En 2019, Michel Beaudoin et sa nouvelle usine rutilante de 700 mètres carrés ont signé avec la bannière IGA-Sobey’s un accord amenant le fameux gâteau dans plus de 300 points de vente à travers la province.

« En l’espace de 13 ans, je suis ainsi passé de 5 gâteaux par semaine à 5000, voire 8000. Et je vends maintenant en l’espace d’un mois ce que je pouvais vendre en un an en 2018. Pas mal, hein, comme plan de retraite ? » raconte l’entrepreneur en riant.

Des saveurs et des valeurs bien ancrées

Est-ce qu’une entreprise perd son âme quand elle grossit rapidement ? Michel Beaudoin s’y est toujours farouchement opposé. « Mon Beauceron à l’érable a été conçu de manière artisanale, et il était hors de question de modifier sa recette pour des besoins industriels. », affirme-t-il.

L’entrepreneur a plutôt privilégié l’innovation pour permettre à son dessert de grandir. Il a donc travaillé pendant quatre ans pour mettre lui-même au point de nouveaux équipements de production et une chaîne du froid faisant figure de modèle dans l’industrie. « Je suis très fier de ce second volet, dit-il, car il m’a permis de conserver et même d’améliorer tout ce que les gens aiment dans le Beauceron à l’érable, tout en étant capable de produire et de congeler 5000 gâteaux à la fois. »

Et justement, qu’est-ce que les gourmands de partout au Québec aiment tant dans ce gâteau ? « Depuis le début, les gens disent souvent qu’il “goûte le ciel”. Et qu’il suffit d’en manger une fois pour devenir accroc », répond le chef.

Est-ce l’amour inconditionnel des Québécois pour l’érable, leur proverbiale dent sucrée, l’attrait d’un produit bien local ou bien la recette unique du Beauceron à l’érable de Michel Beaudoin qui peut finalement expliquer le succès incroyable que connaît ce gâteau ? Peut-être un peu tout cela. Mais inutile de se poser davantage de questions, car l’essentiel, c’est d’avoir du plaisir, une bouchée à la fois. Alors, bonne dégustation !

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