Aller simple pour la terre

Un jour, Téprine Baldo a décidé qu’elle ne voulait plus de la ville. Alors, elle a déniché un bout de terre où poser ses pénates. Et du même coup, elle a trouvé un sens à sa vie et aux combats citoyens qu’elle allait mener. À la tête du Noyau, la semencière plante aujourd’hui pour tous les graines d’un meilleur avenir alimentaire.

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Téprine Baldo fait partie de ces personnes qui contribuent à créer un monde plus juste pour la nature et pour l’homme. On la découvre, aussi souriante que déterminée, dans un des épisodes de la nouvelle série Citoyen 2.0, sur Unis TV, en train d’écrire à sa manière un nouveau chapitre de l’histoire de l’alimentation. Entourée de ses enfants et de son mari, qui l’ont suivie dans cette belle aventure, la semencière derrière Le Noyau, sa petite entreprise agricole située à Stanbridge East, dans les Cantons-de-l’Est, travaille en effet patiemment à la création et à la sélection de graines biologiques capables de résister au temps et aux intempéries propres à notre climat. Mais la militante en elle combat aussi, à son niveau, la standardisation d’un milieu agricole qui assiste, depuis 40 ans, à la disparition de 70 % de ses variétés de légumes, de fruits et de plantes, ainsi qu’à l’appauvrissement inéluctable de ses terres arables, bourrées d’intrants chimiques.

Jouer dehors

Téprine aime avoir les deux mains dans la terre, être en lien direct avec les plantes, l’eau et le soleil. « J’ai réalisé mon fantasme d’enfant », avoue-t-elle, en racontant que lorsqu’elle était petite et habitait dans le quartier montréalais de Senneville, elle pouvait disparaître pendant des heures, dehors, au bord d’un petit boisé ou de l’eau, parce que c’est là qu’elle se sentait le mieux.

Plus tard, après plusieurs déménagements à travers la métropole et des études en communications et en éducation, la jeune femme avait toujours un attrait marqué pour la nature et l’écologie. Toutefois, c’est à la naissance de ses deux enfants qu’elle a pris conscience qu’elle ne voulait plus que sa famille demeure en ville. « Je voulais les élever en pleine nature et avoir un espace pour cultiver qui soit plus grand qu’un jardin communautaire. »

L’appel agricole

En arrivant à la campagne, Téprine n’avait aucune idée de ce qu’elle allait bien pouvoir faire de ses dix doigts, puisqu’elle n’avait aucune expérience dans le domaine agricole. « Mon premier réflexe a été de me lancer comme maraîchère ; mais ce fut un échec », admet-elle. La mère de famille et enseignante remplaçante avait effectivement du mal à suivre le rythme exigeant des cultures et perdait régulièrement des légumes.

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Mais Téprine ne voulait pas s’avouer vaincue. Il fallait qu’elle fasse quelque chose en agriculture, elle en était persuadée. Elle s’est donc investie dans l’organisation d’un festival de permaculture, un mouvement qui prône une agriculture respectueuse du cycle de la nature et des êtres vivants. Et c’est là qu’une rencontre a tout changé. « Nous avions invité des semenciers autochtones abénakis et mohawks qui ont changé toutes mes perceptions en me faisant réaliser à quel point l’homme, la nature et les animaux étaient reliés depuis toujours. Les semences étaient notamment considérées comme un membre à part entière des familles et transmises, au même titre que les techniques de culture, de génération en génération. »

Planter ce que l’on mange

C’est ce discours qui a convaincu l’agricultrice de se lancer dans la voie semencière. Mais ce n’est pas ce qui a dicté ce qu’on allait trouver dans son grand jardin. En effet, il y pousse aujourd’hui quelque 160 variétés de légumes, de fruits et de plantes médicinales qui ont toutes un point en commun : elles sont consommées par Téprine et sa famille. « Je suis une gourmande finie, alors j’aime expérimenter avec les choses que j’aime manger. Et c’est la même chose pour les plantes médicinales ; je les ai surtout choisies en fonction de mes propres besoins : celles pour soigner mes bronches, de la mélisse pour les feux sauvages, du pavot pour le sommeil. Bref, je pars du principe que lorsqu’on aime quelque chose, on a tendance à vouloir le sauvegarder. »

La vie d’un semencier est toutefois bien différente de celle d’un maraîcher traditionnel, puisque l’objectif n’est pas d’obtenir un légume ou un fruit, mais les graines, qui pousseront en de multiples exemplaires. « Mes plants de salade ne ressemblent pas du tout à celle que nous mettons d’ordinaire dans notre assiette, explique Téprine. Un maraîcher les plante et en coupe la tête, pour qu’elle soit consommée, alors que moi, je laisse cette tête grandir, devenir une plante et fleurir, ce qui me permet d’aller chercher les semences qu’elle produit. »

À petits pas

L’agricultrice travaille d’arrache-pied depuis cinq ans sur son terrain. Chaque printemps, elle dépose son cartable d’enseignante pour veiller sur ses plants et en créer d’autres jusqu’à l’automne. Elle est consciente qu’à elle seule, même épaulée par quelques bénévoles, elle n’arrivera pas à concurrencer la poignée de multinationales qui vendent 99 % des semences à travers le monde et qui sont à l’origine de la disparition des trois quarts des variétés patrimoniales. « Je sais que nous devons améliorer nos semences et en produire suffisamment pour être considérés comme des fournisseurs sérieux par les maraîchers, qui ont besoin de constance. Et je sais aussi que j’ai encore un apprentissage à faire pour que ma ferme soit plus autonome. »

En attendant ce jour, la semencière trouve surtout sa clientèle, en ligne et localement, dans la région montérégienne. Elle essaie d’ailleurs, à sa façon, d’éduquer les habitants de son coin. « Je leur ai envoyé un petit cadeau en temps de COVID contenant des semences, pour leur montrer qu’elles sont très bien adaptées à notre climat et à quel point il est facile d’obtenir de bons légumes sans intrants chimiques. » Les réactions positives des gens, surtout dans un contexte de crise sanitaire qui a permis de prendre conscience de la valeur des produits locaux et de l’importance d’une meilleure autonomie alimentaire, prouvent un peu plus chaque jour que Téprine a fait le bon choix en choisissant sa vocation.

Elle rêve maintenant d’un monde où chaque citoyen planterait les légumes ou les plantes qu’il aime, pour en garder les semences et ainsi sauvegarder un patrimoine inestimable que les communautés autochtones et allochtones avaient réussi à conserver jusqu’à l’arrivée des monocultures et des pesticides. Comme elle l’exprime si bien, « lorsque l’on met une semence dans le sol, on en récolte de 1000 à 10 000. La meilleure banque, c’est la Terre. Et la meilleure Terre, c’est la nôtre. » Un petit pas à la fois, Téprine compte bien nous en convaincre.

Citoyen 2.0 est diffusé sur Unis TV le mercredi à 20 h et en ligne tout de suite après. 

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