Entre l’écorce et l’arbre, la mycomanie

À l’ombre des bouleaux blancs et jaunes pousse un champignon à la curieuse allure qui fait la fierté des forêts nordiques : le chaga. Même si on lui prête des vertus médicinales, à Champignons Charlevoix, on en fait d’abord la promotion pour ses qualités gustatives, qui sont de plus en plus recherchées.  

Au détour d’une route de campagne en direction de Mont Grand-Fonds, à une vingtaine de minutes du centre-ville de La Malbaie, on aperçoit l’affiche de l’entreprise incitant les visiteurs à venir se ravitailler à sa petite boutique. La copropriétaire Danielle Ricard accueille les touristes à son échoppe dont les tablettes sont recouvertes de produits à base de champignons sauvages. Shiitakes marinés, chanterelles séchées, pesto épicé aux pleurotes et morilles marinées au thé du Labrador et à la vodka de la distillerie et brasserie charlevoisienne Menaud donnent envie de garnir son sac à provisions.

Le chaga s’est ajouté aux rayons du petit magasin il y a environ trois ans, afin de répondre à une demande grandissante pour ce produit de niche et ses dérivés. On le vend, notamment, en morceaux séchés et dans des confitures de bleuets et de sureau ou de fraises des champs.

 

Dans tous les cas, il fait fureur depuis le premier jour. « J’ai commencé tranquillement mon projet de retraite avec les confitures à base de chaga, raconte Danielle. C’est devenu tellement populaire que c’est aussi maintenant une production de la compagnie. » La saison dernière, Champignons Charlevoix a triplé ses ventes du champignon boréal non transformé. Et, cette année, elle prévoit d’en vendre une cinquantaine de kilos, une quantité encore inégalée.

photo Pierre Rochette

Richesse naturelle

Il est relativement facile de s’approvisionner en chaga dans la région de Charlevoix. On le trouve partout où il y a des bouleaux, donc au Québec, bien sûr, mais aussi dans les pays scandinaves, aux États-Unis et dans le reste du Canada. Il faut dire que le champignon ne se cultive pas. C’est plutôt un cadeau de la nature, qui se développe dans les failles de l’arbre, se nourrissant à même le tronc. L’inonotus obliquus, de son nom latin, est reconnaissable par sa forme de protubérance noirâtre semblable à du bois brûlé. Il se déploie très lentement, parfois pendant 20 ou 30 ans !

Le chaga et le bouleau sont en symbiose naturelle et, afin de garantir la survie des deux, on récolte sans tout enlever, à partir de l’arbre vivant. « Des fois, le morceau qu’on ramasse peut avoir jusqu’à 50 ans, précise la propriétaire. Il s’est développé au fil des ans, et il ne faut pas tout prendre. »

Récolte de pleurotes

Danielle fait affaire avec des cueilleurs qui récoltent le mets précieux sur sa terre à bois et se fournit aussi en chaga local ramassé de façon responsable, soit en ne prélevant qu’une partie du champignon. Tout ça dans le but de ne pas épuiser ce garde-manger naturel et d’assurer une pérennité de la ressource.

De bon goût

Même si le chaga procure de nombreux bénéfices pour la santé — il serait, dit-on, un remède naturel puissant —, Danielle aime avant tout l’intégrer en cuisine pour ses arômes d’eau d’érable, de vanille, de noisette et de bois laissant poindre une légère amertume. Les gens l’apprécient particulièrement à l’état brut, en pépites ou en poudre, pour en faire une tisane.

« Il y a des gens qui sont vraiment accros et qui ne prennent plus de médicaments grâce au chaga. Je n’embarque pas là-dedans, parce que je ne suis pas médecin. Moi, je le prends comme breuvage sans caféine, pour le plaisir. »

En laissant infuser le champignon au moins une heure, on obtient un maximum d’arômes. L’eau aromatisée devenue noire peut être utilisée pour déglacer un plat ou comme bouillon dans une soupe ou dans un fond de veau. On peut également faire cuire du riz ou du couscous dans la décoction.

Certains l’ajoutent même aux desserts, dans une crème brûlée, par exemple. Pour Danielle, sa polyvalence en fait son atout premier. « Il y a beaucoup de choses à faire avec cet ingrédient, c’est illimité. » D’autant plus que chaque morceau de chaga peut être infusé plusieurs fois.

Champignons magiques

Rien ne semblait prédisposer Danielle à se lancer dans la culture des pleurotes et la transformation de champignons sauvages dans Charlevoix, il y a 18 ans. Elle avait très peu mangé de champignons, avait une formation en arts visuels et habitait Montréal depuis une vingtaine d’années avec son conjoint, Jean-Pierre Lavoie.

Par un concours de circonstances, elle est revenue dans sa région d’origine. Avec un plan d’affaires sous le bras, elle a décidé de racheter des terres appartenant à son père, avec l’idée de se lancer dans l’industrie du mesclun en serres avec son amoureux. Jusqu’à ce qu’elle réalise le peu d’ouverture du marché.

« On se baladait aux Éboulements et, à moment donné, on est tombé face à l’entreprise agricole Le Jardin des Chefs et son mesclun à perte de vue. On s’est dit qu’on ne ferait pas une cenne, raconte la propriétaire. Alors, Jean-Pierre, par dépit, a donné un coup de pied dans quelque chose qui était un champignon. Et là, immédiatement j’ai dit : “ah, tiens, on va faire des champignons”. »

Après avoir fait de nombreuses recherches à ce sujet, ils ont réalisé à quel point il n’y avait pas d’expertise au Québec et que tout était à faire. Ils se sont alors mis à travailler d’arrache-pied, même si personne n’y croyait et que le financement se faisait attendre. Ils se sont installés dans un incubateur industriel, le même utilisé aujourd’hui par la Distillerie Menaud, jusqu’à, finalement, obtenir un prêt pour la construction d’une champignonnière.

Dans ce laboratoire de 4000 pieds carrés, le duo d’entrepreneurs a réussi toutes ces années à faire de beaux pleurotes, en misant sur la qualité plutôt que sur la quantité. En 2010, pour diversifier l’offre et augmenter le chiffre d’affaires, ils se sont lancés dans la transformation de champignons sauvages en produits d’exception.

Champignons Charlevoix demeure à ce jour l’une des seules champignonnières ouvertes au public offrant une visite commentée de ses installations durant la période estivale. Et ses activités prennent de l’expansion, grâce à la vente en ligne. Le couple fait maintenant face à un beau problème : il peine à répondre à la demande. « On ne veut pas agrandir, précise-t-elle. On veut rester petit pour bien maîtriser toutes les étapes, pour que ça reste artisanal. On est dans une période où les gens aiment savoir ce qu’ils mangent. On est enfin à la mode, après 18 ans ! »

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