Découvrir le loup-marin

Grâce à de nombreuses initiatives, l’industrie des produits du loup-marin connaît un nouvel essor aux Îles-de-la-Madeleine. Alors qu’autrefois le phoque était davantage chassé pour sa fourrure, on s’y intéresse aujourd’hui pour son gras et sa viande, tandis qu’une expertise sur la transformation du loup-marin est en train de se développer sur l’archipel. 

 

Depuis des siècles, la chasse au phoque est partie prenante de la vie des Madelinots. « Aux Îles, on n’a pas de grands mammifères, pas de cerfs ou d’ours », explique Gil Thériault, directeur de l’Association des chasseurs de phoques intra-Québec. « Notre chasse à nous a toujours été le phoque. » Avant l’arrivée de l’électricité, le loup-marin était d’ailleurs la principale source de viande fraîche durant l’hiver. S’il fut un temps où l’on consommait cette viande d’abord et avant tout pour ses propriétés nutritives, on la découvre aujourd’hui sous un angle gastronomique où sa finesse et sa qualité sont mises de l’avant.

On doit notamment cette revalorisation aux efforts de Réjean Vigneau, lui-même chasseur de phoque, boucher et propriétaire de la boucherie Côte-à- Côte, située à Cap-aux-Meules. Depuis une douzaine d’années, il travaille le loup-marin en boucherie et c’est à coup de tests et d’essais qu’il a développé une expertise pour apprêter et cuisiner cette viande. Depuis quelques années, l’intérêt pour cette protéine tant de la part des consommateurs que des chefs est croissant, bien que ce ne fut pas toujours le cas. « C’est certain que dans les années 2000, arriver avec du phoque n’a pas été évident, avec toute la controverse et les mensonges qui ont circulé autour de cette chasse », se rappelle Réjean.

 

Mais les efforts commencent à payer. Les tartares et tatakis remplacent les recettes traditionnelles, où trônaient les bouillis de loup-marin avec boeuf salé, les tourtes ou les steaks de phoque poêlés. « Pour vraiment découvrir le goût fin du loup-marin, il faut le manger saignant. On faut cuire la viande comme un magret de canard, c’est-à-dire avec une cuisson assez rapide à feu vif avant de terminer au fourneau », conseille Réjean. À sa boucherie, il propose également des charcuteries appelées « phoconailles », ainsi que des terrines, des saucissons secs et différentes coupes de viande.

photos Raoul Jomphe

Une chasse difficile

Le fait d’être à la fois chasseur de loup-marin, boucher et charcutier de métier, en plus de gérer la Coopérative de solidarité en production animale, l’abattoir des Îles-de-la-Madeleine, n’est certainement pas étranger au développement du savoir-faire de Réjean. Il est d’ailleurs le seul dans la province à détenir un permis de transformation pour cet animal. À force de travail et d’étroite collaboration avec le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), il a élaboré des protocoles d’abattage, de transport, de transformation et de conservation pour s’assurer d’avoir une viande de phoque de qualité et qui s’inscrit dans l’air du temps : sans hormones ni antibiotiques, pauvre en gras et en cholestérol, mais riche en nutriments et en fer.

Même si la demande pour les produits du loup-marin grandit parmi la population, la chasse au loup-marin aux Îles-de-la-Madeleine est de plus en plus difficile. Réjean estime d’ailleurs que le plus grand défi pour cette chasse reste l’accès à la ressource. Les loups-marins étaient autrefois chassés sur les banquises des côtes de l’archipel madelinien, mais les conditions sont aujourd’hui dangereuses pour les chasseurs lorsque la glace n’est pas assez épaisse, et elle rend l’accès difficile aux bateaux lorsqu’elle est trop importante. « Les loups-marins ne viennent plus aux mêmes endroits pour mettre bas, là où la chasse est permise, le couvert de glace est moins important et souvent, ce sont encore des blanchons qui ne sont pas assez matures pour être chassés », explique Réjean.

Le phoque sur la liste Fourchette bleue

photo Benoit Lenglet, seadnacanada
photo Benoit Lenglet, seadnacanada
photo Gil Thériault

Dans les prochaines années, on peut toutefois s’attendre à voir davantage de viande de phoque dans les assiettes du Québec, puisque le phoque du Groenland et le phoque gris font partie de la liste 2019 des espèces marines valorisées par Fourchette bleue d’Exploramer. Cette liste a pour objectif de promouvoir les espèces du Saint-Laurent qui sont méconnues et pêchées ou abattues de façon durable.

« On souhaite que la population intègre la viande de phoque au menu, que ce soit quelque chose qu’on ajoute à notre alimentation de façon systématique », explique Sandra Gauthier, directrice générale d’Exploramer. L’intérêt pour cette nouvelle viande a été remarqué par l’organisme, qui a commencé à offrir des formations de chasse au phoque depuis 2018, avec un volet sur la boucherie et la charcuterie qui comprend un atelier culinaire donné par un chef.

« Nous avions décidé l’année dernière d’offrir ces formations à une dizaine de participants, mais nous avons arrêté les inscriptions à 25 personnes. Et en date du mois de septembre 2019, nous avons plus de 100 noms sur une liste d’attente pour la prochaine formation. Ce n’est pas banal », constate Sandra. « Il y a énormément d’intérêt en restauration et alimentation pour le phoque, car c’est une nouvelle viande qu’on met sur nos tables », confirme Réjean.

Il n’y a pas que la viande de phoque qui suscite l’attention. On s’intéresse également à son gras en raison de sa teneur très élevée en oméga-3 et plus particulièrement en ADP, l’acide docosapentaenoïque. L’ADP est un des acides gras les plus bénéfiques pour la santé et l’huile de loup-marin en est une des seules sources naturelles, avec le lait maternel. Total Océan et SeaDna, deux jeunes compagnies des Îles, commercialisent les produits du loup-marin, mais on s’attend à un intérêt de plus en plus marqué dans les prochaines années en raison des bienfaits de cette huile sur la santé.

photo Raoul Jomphe

Où aller pour découvrir le loup-marin aux Îles-de-la-Madeleine ?

Quelques restaurants proposent du loup-marin sur leur menu, dont Les Pas perdus qui sert un burger au phoque. (169, chemin Principal, Cap-aux-Meules)

La Boucherie Côte-à-Côte vend des charcuteries, des saucissons et des mets cuisinés au loup-marin, ainsi que différentes coupes de viande. (295, chemin Principal, Cap-Aux-Meules)

Pour en apprendre plus sur le loup-marin, on peut également visiter le Centre d’interprétation du phoque. (377, route 199, Grande-Entrée)

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