Ludovic Beauregard aime profondément sa terre, qu’il foule depuis sa naissance. Il a grandi ici en compagnie de sa soeur, dans les champs, un peu isolé du monde. Ses parents étaient des agriculteurs de coeur et de conviction. Ils visaient l’autosuffisance alimentaire, mais devaient tout de même travailler en ville pour assurer des revenus. « C’était pas des hippies. Ils étaient bosseurs et idéalistes. Ils m’ont légué un sens critique du monde que je chéris toujours », lance l’homme de 31 ans, qui a choisi de leur succéder sur cette ferme reconnaissable à ses cadrages roses aux fenêtres de sa bâtisse centrale.
Lorsque le père de Ludovic est décédé à l’âge de 41 ans en 2002, sa femme a poursuivi son oeuvre, secondée de leur fils qui leur donnait un coup de main depuis qu’il était haut comme trois pommes. Mais quand elle est tombée malade à son tour, Céline Poissant a pris une décision courageuse, celle d’engager un processus de fiducie pour que sa terre ne devienne jamais un quartier de condos bétonnés. « C’était une belle idée, convient son fils, même si ça ajoute un niveau de complexité supplémentaire à un métier qui est déjà très exigeant. » Effectivement, léguer une terre à la collectivité pour s’assurer qu’elle ne tombera jamais dans le secteur privé et ne prendra pas de valeur financière est inusité. Y adjoindre en plus la condition qu’elle ne soit exploitée qu’en agriculture biologique relève du défi.
« Lorsqu’on sait que les agriculteurs s’appuient sur le seul bien qu’ils possèdent, leur terre, pour emprunter de l’argent aux banques, imaginez notre situation à titre d’exploitants ! On a mis un an et demi pour simplement avoir accès aux 30 000 dollars qu’on avait réussi à amasser au moyen d’un financement collaboratif. C’est fou ! » L’agriculteur aurait peut-être fait les choses différemment, mais, tout comme sa mère, il se désole de voir des investisseurs s’emparer de terres québécoises que les jeunes ne peuvent même plus racheter à leurs parents en raison de l’inflation des prix. « Ma mère est peut-être une utopiste, mais son geste fera des petits, j’en suis certain », conclut-il.
Agriculture paysanne
Avant de reprendre le flambeau à plein temps aux Arpents roses, Ludovic a appris et voyagé. Il a étudié à Victoriaville, puis il a fait des stages dans différentes fermes au Québec et en Europe pour trouver des sources d’inspiration. C’est là qu’il a découvert le wwoofing, un réseau international de quelque 6 000 fermiers qui accueillent des personnes désireuses d’acquérir des connaissances en agriculture biologique. « On peut vivre sur place d’une semaine à trois mois, mais la plupart des candidats sont des jeunes qui veulent voyager autrement, pas nécessairement des agriculteurs en devenir. » L’exploitant admet qu’il a cependant beaucoup appris grâce au World Wide Opportunities on Organic Farms (WWOOF). Il a tissé de nombreux contacts, a vu le fonctionnement des marchés fermiers, la gestion d’une ferme biologique de manière rentable, ou encore les bienfaits que les élevages en pâturage peuvent apporter.
Fort de ces expériences, Ludovic a pris la tête de la Ferme des Arpents roses il y a six ans, avec l’objectif d’en faire son unique source de revenus. « Une agriculture vraiment paysanne a sa place au Québec », affirme-t-il. Pour y parvenir, il a diversifié la production des légumes de son exploitation, en plus de se lancer dans l’élevage de porcs Duroc dont il revend les carcasses à des petites boucheries ou à des particuliers qui les achètent par moitié. Cette seconde option est d’ailleurs importante à ses yeux : « Si les gens mangent de la viande, ils doivent assumer qu’elle vient d’un animal et qu’ils le voient. »
Contrairement à la tendance qui veut réduire – voire supprimer – la viande des assiettes, l’agriculteur croit fermement à l’élevage. À ses yeux, si l’élevage est réalisé à taille humaine – Ludovic possède un cheptel de 60 à 75 porcs, alors qu’un éleveur traditionnel en possède 5 000 en moyenne –, il fait intimement partie du cycle agricole naturel. « Les animaux ont un impact positif sur tout. Si on veut que nos légumes poussent, il nous faut du fumier animal. Même les fermes végétariennes utilisent des fumiers provenant de poulets élevés en batterie, ce qui est ridicule. »
Le choix biologique
Ludovic considère son métier d’agriculteur comme un appel, une vocation. « Parfois, je me demande pourquoi je travaille comme un forcené pour un salaire minable. Mais je vis dans un endroit merveilleux, je mange super bien et j’évolue dans un milieu très dynamique. » Comme d’autres jeunes de la relève, le choix biologique allait de soi. Son modèle de culture n’est pas automatiquement le même que d’autres porte-parole de ce mouvement, comme Jean-Martin Fortier, mais il voit les mentalités évoluer et sa clientèle se diversifier sur les marchés fermiers qu’il fréquente.
« J’y croise des jeunes qui ne mangent que bio, des personnes plus âgées qui apprécient la qualité de mes produits, d’autres qui ont à coeur la traçabilité de ce qu’ils consomment. Mais avant tout, je crois que les gens veulent une histoire, comprendre ce qu’ils consomment. » Du fin fond de son rang, Ludovic bâtit donc un présent et un avenir respectueux de cette terre qu’il aime tant et de ceux qu’elle nourrit. Un magnifique héritage.