Un soleil voilé de septembre hâle le domaine de la Terre des bisons à Rawdon. La boucherie, une maison en bois jaune canari, est entourée de bâtiments semblables et d’une demeure intergénérationnelle encore en construction. De l’autre côté de la petite route s’étendent d’immenses enclos où paissent bisons et wapitis.
C’est la pétillante Josée Toupin, l’une des copropriétaires, qui accueille les visiteurs. Sa jovialité contraste avec la quiétude des lieux brisée uniquement par les grognements feutrés intermittents des bêtes.
Native du Plateau-Mont-Royal montréalais, l’éleveuse n’était pas du tout destinée à une vie consacrée à l’agriculture. Elle a rencontré son mari très jeune, dans le quartier Villeray. Son père possédait un chalet à Rawdon, où elle a passé plusieurs étés de sa jeunesse. En 1985, le couple y construit une maison, sur la terre à bois tout près, pour y couler ses temps libres.
En avril 1992, Josée et Alain apprennent que la ferme voisine est à vendre. Leur offre d’achat est acceptée en moins de vingt minutes. Abandonnée, la propriété de 400 acres n’était pas exploitée depuis 19 ans. « On voulait élever un cheptel qui reste à l’extérieur, donne de la bonne viande élevée naturellement, sans hormones ni antibiotiques. Le bison tombait parfaitement dans nos cordes », raconte Josée.
La propriétaire n’aurait jamais pu imaginer se consacrer à l’élevage à temps plein, pourtant, deux décennies plus tard, elle et sa famille y sont profondément liées. Fraîchement diplômé en études agricoles, son fils cadet, Jean-Philippe, prévoit de reprendre le flambeau de l’entreprise familiale.
Le hasard fait bien les choses, car le jeune homme est tombé amoureux de Geneviève, aussi passionnée d’agriculture que lui. La famille s’est récemment agrandie, avec la venue de leur fille, la petite Charlotte.
Aujourd’hui, de nombreux voyageurs venus de Montréal, de Joliette, de Repentigny et des environs empruntent la route expressément pour s’approvisionner à la boucherie et rendre visite aux bovidés.
L’agrotourisme, ce mariage entre le travail agricole et l’attraction touristique, exige un équilibre beauté-efficacité. « Il faut que ce soit beau, et, surtout, que ça sente beau, explique Josée, le sourire aux lèvres. Il faut jongler entre les visites guidées et l’entretien par des tracteurs souvent bruyants. »
Le passé douloureux des bisons
Josée nous invite à commencer notre exploration au Centre d’interprétation des grands gibiers d’élevage. À l’apparence modeste du bâtiment, il est difficile d’imaginer la beauté des œuvres de taxidermie et la richesse de l’information qu’abrite le musée.
Dans un parcours culminant sur un tipi grandeur nature confectionné avec des peaux de bison, nous découvrons l’histoire tragique et mouvementée du bison, de la préhistoire jusqu’à la colonisation de l’Amérique. Immortalisés par la taxidermie, d’autres animaux, comme le loup et le wapiti, jalonnent l’exposition.
C’est d’ailleurs la complexe histoire du bison qui a attiré Alain et Josée vers ce dernier. « Ce qui nous a captivés, c’est qu’il existait, à une époque, 50 à 60 millions de bisons sur le continent et qu’avec l’arrivée de l’homme blanc, la race a pratiquement disparu », raconte Josée.
Le bison s’inscrit dans l’histoire de la colonisation par le fait que les Autochtones le chassaient pour leur subsistance. À leur arrivée, les premiers explorateurs blancs en Amérique ont entrepris d’exterminer l’espèce pour mieux conquérir le territoire. Au début des années 1900, il ne restait plus que 700 à 900 bêtes sur le continent. Une poignée de protecteurs de l’environnement ont heureusement réussi à les sauver de l’extinction.
Repus de découvertes, on va saluer les bêtes en chair et en os. On n’entre toutefois pas dans l’enclos, car les bisons peuvent charger sur les humains sans crier gare. On se contente donc d’admirer les adultes et leurs petits de loin.
Plus d’une centaine de bisons vivent à la ferme. Le jour de notre visite, une partie du troupeau doit migrer vers un autre pâturage, une opération qui demande beaucoup de préparation. Si les animaux perdent de vue l’entrée de leur nouvel habitat, ils peuvent se buter à répétition contre les clôtures et cela peut prendre des heures. Heureusement, ce jour-là, l’impressionnante course du groupe vers l’herbe fraîche s’est déroulée sans anicroche, en moins de quelques minutes.
Le Tartin de maman Toupin
À la boucherie, on trouve une myriade de produits issus de l’élevage du bison et du wapiti. La viande de bison est prisée pour sa saveur, sa texture et son apport nutritif. Elle se démarque du bœuf par son goût fin de gibier et sa faible teneur en gras.
Les congélateurs regorgent de différentes coupes de viande et de saucisses à déguster à la maison, tandis que les étagères mettent en vedette le meilleur vendeur : le Tartin de bison. Semblable à des cretons, il agrémente l’apéro, le brunch ou toute collation sous forme de délicieuse tartinade.
« Le tartin, c’est notre marque de commerce, explique Josée. Au départ, on ne faisait que cuisiner les recettes familiales avec la viande de bison ; puis on s’est retrouvés à adapter le creton de ma mère, tout simple, mais vraiment exquis ».
La glacière pleine et requinqués, nous reprenons la route, inspirés par le parcours atypique de cette famille et par sa détermination à pratiquer le plus beau métier du monde.