À la différence de la Ferme des Quatre-Temps à Hemmingford, qui s’adonne à une gamme d’activités agricoles sur une terre de 160 acres, ce second projet en version réduite mise principalement sur la production maraîchère et l’élevage d’agneaux sur pâturage.
Recensant 130 brebis, huit béliers, une production potentielle de plus de 350 biquets par année ainsi que deux acres en culture de légumes biologiques, la ferme à échelle humaine veut démontrer que l’alimentation durable est loin d’être une lubie. Le terrain, acheté un peu plus tôt, logeait anciennement une ferme à viande avec de grands pâturages, où des sections pour les cultures maraîchères ont été conçues. Bien que le projet ait débuté au printemps passé, ce n’est que cette année que la ferme pourra profiter pleinement d’un cycle complet de production.
Agriculture durable 101
L’agricultrice Mélanie Villemaire, qui est à la barre de cette nouvelle proposition, ne tarit pas d’éloges sur ce mode de culture holistique qui laisse place aux expérimentations. «On a prouvé dans le passé que d’avoir une ferme où tout est cultivé et élevé de façon très naturelle, dans un système où tout se recoupe et qui crée une boucle, c’est possible», explique-t-elle.
Durant l’été par exemple, les agneaux sortent à l’extérieur et se régalent des herbes mises à leur disposition. De là l’idée d’introduire des végétaux de la région, dont la livèche, une espèce vivace indigène de la région de Port-au-Persil. «Son goût rappelle celui du céleri et du persil, c’est très bon, note Mme Villemaire. En introduisant cette plante dans le pré, on veut tester à savoir si elle donne un goût intéressant à la viande. C’est une ferme expérimentale après tout!»
Avant de revêtir le chapeau de directrice de production à la ferme de Port-au-Persil, Mme Villemaire a passé plusieurs mois à la Ferme des Quatre-Temps d’Hemmingford, sous l’œil bienveillant du jardinier-maraîcher Jean-Martin Fortier. L’instigateur de la première ferme laboratoire avait été préalablement engagé pour mettre en œuvre la vision de l’homme d’affaires et milliardaire André Desmarais. Ce dernier avait un rêve à la hauteur de ses moyens: la création d’une ferme venant en aide à la communauté agricole grâce à un modèle productif, biologique et exportable. Son souhait s’est exaucé et l’idée d’une deuxième ferme n’a pas été longue à germer.
Passer au nord-est
Sur papier, la plupart des techniques maraîchères, le choix des cultivars ainsi que le design du jardin et de la pépinière développés à la première ferme se calquaient aisément sur le nouveau terrain. En vrai, certains aléas étaient propres à la région charlevoisienne, à commencer par le climat.
Au printemps, dans cette contrée aux airs de nordicité, la neige est toujours bien présente et le sol tarde à se réchauffer. Pour prolonger la saison des cultures, on a adapté la technique ancienne des «couches chaudes» pour chauffer les tunnels où logent les légumes. Ainsi, dès le mois de mai, une partie du fumier des moutons accumulé dans la bergerie a été disposée en rangées dans les serres, puis recouverte d’une membrane géotextile afin de créer de la chaleur au niveau du sol. «Cette vieille méthode permet la plantation de légumes trois semaines avant la date prévue, ce qui n’est pas négligeable», précise l’agricultrice.
Ce plein d’idées et de techniques inventives, la ferme souhaite le partager avec les autres. Elle accueille chaque année des recrues qui réfléchissent à une approche plus respectueuse de la terre en emboîtant le pas vers une douce révolution alimentaire au Québec. L’embauche d’employés de fermiers en herbe et du roulement qui s’en suit n’est donc pas le fruit du hasard, confirme Mme Villemaire. «Quand j’engage, la question principale est: est-ce que vous avez envie de partir votre ferme? On opte pour des personnes qui passent par ici pour ensuite voler de leurs propres ailes.»
Ménager la chèvre et le chou
L’arrivée de la Ferme des Quatre-Temps à Port-au-Persil a bousculé le marché local maraîcher et une légère vague de mécontentement de la part d’agriculteurs déjà bien installés a déferlé. Bien qu’ils soient plusieurs à partager la même philosophie, ils sont parfois loin d’avoir les moyens d’acquérir les mêmes installations, d’autant plus que les subventions sont quasi inexistantes dans ce créneau agricole. Il faut rappeler que l’agriculture biologique est présentement subventionnée à hauteur de 3 millions, alors que celle qui est conventionnelle l’est à 65 millions.
Par conséquent, au courant de l’année, la nouvelle ferme de Port-au-Persil a ouvert ses portes et organisé une rencontre avec les maraîchers de Charlevoix pour discuter de divers enjeux de l’agriculture locale et de son rôle. «La ferme sert à expérimenter différentes techniques, divers outils et de multiples cultures, afin de partager avec les autres producteurs pour ainsi faire augmenter les ventes de tout le monde dans le domaine. Oui, il y a eu un peu de contrariété, se rappelle Mme Villemaire, mais ensuite, lorsqu’on a expliqué nos objectifs, ça a changé la perception des gens. Diversifier l’offre et apporter quelque chose de nouveau ici, ça peut aider.»
Au bout du compte, changer les choses petit à petit en montrant un nouveau modèle d’agriculture comme à la Ferme des Quatre-Temps incite d’autres à s’en inspirer et à se lancer à leur tour. De quoi réjouir un nombre grandissant de consommateurs avertis et peut-être même persuader les deux paliers de gouvernement que l’alimentation durable n’est pas seulement une fantaisie.
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