Fabienne est suissesse et Frédéric est normand. Voilà pour l’origine du nom de leur fromagerie fondée en 1995. Ils fabriquent aujourd’hui, avec trois de leurs enfants, plus d’une dizaine de fromages avec le lait de leurs 300 chèvres et celui du troupeau de vaches d’un voisin. Au départ, rien n’indiquait pourtant que le couple allait se lancer dans cette aventure familiale.
Infirmière en Suisse, Fabienne y a fait la connaissance de Frédéric, qui venait de trouver un travail sur la ferme laitière de son grand-père. Un jour, le père de Fabienne leur a offert d’aller s’occuper d’une terre qu’il possédait au Québec, sur la rive sud. En 1985, le couple Guitel débarquait au Québec et trois ans plus tard, il achetait sa propre terre à Saint-Roch-Ouest.
Un trop-plein de lait
Au début, l’idée de fabriquer du fromage n’était même pas sur le radar. Ils ont eu des cochons quelque temps, ainsi que des vaches laitières. Puis des chèvres. Une fromagerie devait voir le jour dans un village voisin. «On avait prévu de leur vendre le lait des 187 chèvres que l’on possédait à l’époque, mais le projet a avorté. On est restés avec notre lait sur les bras», se souvient Frédéric. Un hiver, il a vu qu’un cours sur la fabrication de fromages artisanaux était offert à Joliette. Il a décidé de s’inscrire et… il a eu la piqûre. «On se fait notre fromage à nous», se rappelle-t-il avoir dit à Fabienne.
«Ce cours, c’était vraiment le b.a.-ba de la fabrication. Après, on y est allés d’essais et d’erreurs. On a appris à les faire les uns après les autres», explique le fromager. Ils se sont notamment inspirés des fromages suisses, comme la Tomme vaudoise, dont le Pizy, l’une de leurs premières fabrications, est le pendant québécois.
Contrairement à d’autres fromagers au Québec, les Guitel ont rapidement développé différents types de fromage, touchant à toutes les familles, sauf les pâtes cuites. Caillé de chèvre, bûchette de chèvre frais, féta, croûte fleurie, naturelle et lavée, pâte ferme. «Tant qu’à faire du fromage, et comme les gens se déplacent chez nous, autant leur offrir une variété», explique Frédéric.
Biquerond de Lanaudière, Sabot de Blanchette, Petit Poitou, Capra, Pizy, etc. Plusieurs fromages, mais tous produits de façon artisanale. Tous les fromages de chèvre de la Fromagerie La Suisse Normande sont fabriqués avec le lait de son troupeau de 300 chèvres, dont environ 200 sont en lactation. «Ce qui nous a toujours intéressés, c’est faire des fromages fermiers. C’est plus de gestion et de travail, mais ça nous permet d’avoir le contrôle sur la qualité du lait et des soins aux animaux, explique Frédéric. On cultive nos champs, on fait notre foin et notre grain, on s’occupe des animaux.»
Quant au lait de vache pour la fabrication du Pizy, du Petit Normand et du Freddo, il provient de la ferme d’un voisin, la ferme L’Achigan. «On va faire ses foins, on sait ce que les animaux mangent. On a ainsi un contrôle sur la qualité du lait», raconte Frédéric.
La relève
Les foins, le grain, les animaux et la fabrication de fromage! Beaucoup de travail qui, depuis quelques années, n’est plus assuré par le couple seul. De ses cinq enfants, Thibault a été le premier à officiellement intégrer l’entreprise familiale. Il est à la tête de tout ce qui touche la ferme et la terre. Deux de ses sœurs, Magalie et Bénédicte, travaillent quant à elles à la fromagerie. En comptant les employés, une dizaine de personnes travaillent à la Suisse Normande.
Bénédicte avait quatre ans lorsque la fromagerie a ouvert, en 1995. «J’ai toujours baigné là-dedans. Les soirs et les fins de semaine, j’étais soit à aider à la ferme, soit à la fromagerie», se souvient-elle. Après des études en massothérapie et une année de pratique, Bénédicte se rend à l’évidence: elle veut travailler dans l’entreprise familiale.
«Au départ, je voulais me convaincre que je n’étais pas faite pour la ferme et la fromagerie. J’avais un peu peur. J’avais vu mes parents aller. Pour eux, toute leur vie, c’est le travail, explique-t-elle. Mais finalement, j’ai eu complètement la piqûre.»
Aujourd’hui, c’est Bénédicte et son équipe qui assurent principalement la production. Arrivée quelque temps plus tard, sa sœur Magalie s’occupe davantage de gestion. Sa mère, de qui Bénédicte a appris en grande partie la fabrication de fromage, est pour sa part à la commercialisation. Thibault est à la ferme, tandis que Frédéric est devenu «l’homme à tout faire», précise Bénédicte en riant.
Ainsi le transfert d’entreprise se fait doucement et se passe bien, ce qui réjouit Bénédicte. «Ça se fait avec beaucoup de respect. Tout le monde est à la place qu’il voulait être et on se complète tous. C’est plus qu’un travail pour nous, c’est un mode de vie. On apprend à comprendre les valeurs de nos parents, tout en les remettant au goût du jour.»
Des légumes bios
Un nouveau projet qui veut justement poursuivre la philosophie de l’entreprise est d’ailleurs en gestation et devrait voir le jour dès cet été: des légumes bios cultivés en permaculture. Le projet est celui de Charline, la conjointe de Thibault. Les légumes seront cultivés sur les terres familiales et vendus à la boutique de la fromagerie, qui sera agrandie. Les Guitel profiteront de l’occasion pour augmenter l’offre de produits artisanaux et locaux que l’on y retrouve déjà. «On prône depuis toujours tout ce qui est local. Si on peut le produire nous-mêmes, tant mieux», avance Bénédicte.
Bénédicte vous invite par ailleurs à faire un arrêt au restaurant Saint-Ours, non loin de la fromagerie, à Saint-Roch-de-l’Achigan. Ouvert depuis quelques années, le Saint-Ours est également fervent de produits locaux et du terroir. Vous pourriez même y déguster une assiette de fromages de… la Fromagerie la Suisse Normande!