L’histoire commence en 1902, sur le chemin pittoresque du rang Saint-Paul, dans le village de Saint-Fidèle aujourd’hui rattaché à La Malbaie. Un certain Joseph Bhérer vend à l’époque sa production de fromage en grosse meule et l’expédie en voiture jusqu’au quai de Pointe-au-Pic. Toute une époque! «Ce n’est qu’en 1919 qu’on a laissé tomber le bateau pour expédier le fromage plutôt en train», raconte Cathy Savard, l’actuelle directrice générale. Elle raconte ensuite l’époque durant laquelle, alors qu’il n’y avait pas encore d’électricité, la baratte à beurre fonctionnait grâce à un moteur à vapeur. Lors des hivers rudes, il fallait découper de la glace sur les lacs afin de refroidir la crème durant la saison estivale.
Avec la mort de M. Bhérer, une nouvelle génération a pris la fromagerie en main: déménagement, agrandissement, la Fromagerie St-Fidèle a commencé à s’installer dans le paysage de la région de Charlevoix. Mais le suisse n’a pas toujours été la marque de fabrique de l’entreprise. Ce n’est qu’en 1976 que la fromagerie se lance dans cette production. «On est allé hors du pays pour voir comment il se fabriquait et développer un savoir-faire et des techniques. Finalement, après un an seulement de production, on a gagné le premier prix de la Royal Agricultural Winter Fair de Toronto», explique Cathy. De cette époque, il ne reste évidemment pas grand-chose, si ce n’est le goût du fromage suisse qui est vendu directement aux consommateurs, au comptoir de vente de la fromagerie, mais aussi aux restaurateurs de la région et de tout le Canada.
Pour la directrice, ce succès tient à la qualité du suisse que la Fromagerie St-Fidèle produit. Le lait utilisé vient en très grande partie de Charlevoix et un peu du Saguenay. «Mais surtout de Charlevoix», insiste Cathy, qui ne cache pas son attachement à la région de La Malbaie. D’après elle, la plupart des entreprises qui y ont élu domicile sont à taille humaine et ne sont pas tombées dans le tout mécanique. Cette renommée, la Fromagerie St-Fidèle compte bien en profiter. Et quoi de mieux que de s’associer avec d’autres producteurs pour créer de nouveaux produits inédits? En 2011, l’entreprise lance par exemple La belle brune, un suisse au goût de noisette affiné à la bière La Vache folle de la Microbrasserie de Baie-Saint-Paul. Idéal pour une raclette, d’après Cathy. La fromagerie produit aussi un cheddar extra-fort qui a été affiné 18 mois, ou encore Le Trotteur de Charlevoix, un tout nouveau fromage à pâte ferme au bon goût de crème et de beurre qu’on trouve sur les étals depuis quatre ans seulement.
Chaque année, environ 10 millions de litres de lait sont transformés dans les locaux de la fromagerie. Ce fameux lait profite de «l’air salin, de l’air des montagnes», précise Cathy, qui ajoute fièrement que ses fromages ne contiennent aucune substance laitière. «C’est du lait à 100%, alors que d’autres ajoutent parfois de la poudre.» Les meules sont également affinées sur place pendant environ trois semaines. «De la production à la mise en vente, il faut compter entre six et huit semaines», précise la directrice générale. L’affinage est d’ailleurs toute une science. «On cherche une belle grosseur de trous. Généralement, on attend que la meule laisse apparaître une petite bedaine, ce qui veut dire que le fromage a gonflé, puisque les trous prennent de l’espace», détaille Cathy, ajoutant que le fait que l’entreprise ait décidé de continuer à effectuer certaines tâches manuellement joue également sur la qualité du fromage.
La plus grande partie du lait que l’entreprise de transformation achète est consacrée à la production de fromage suisse. Le reste est gardé pour la confection de cheddar frais. Ce petit bijou gustatif fabriqué par les 35 employés que compte la fromagerie ne s’exporte pas, mais il est livré localement dans la région de Charlevoix. Parlant d’exportation, il y a ces derniers temps un thème délicat qu’il est parfois difficile d’aborder avec les producteurs de fromage: celui des accords d’échanges commerciaux entre le Canada et l’Europe. «La concurrence des fromages français qui vont s’exporter ici nous fait très peur, c’est évident. D’autant plus que le fromage suisse s’exporte très bien, ce qui n’est pas le cas du cheddar frais. Mais on va continuer de travailler aussi fort qu’on l’a toujours fait et surtout, on espère que les clients vont rester de notre côté et nous être fidèles.»
Ce ne serait pas la première tempête que traverse la fromagerie. En 2000, la production s’est arrêtée lorsque le groupe Lactel, auquel elle est rattachée, a décidé de mettre fin aux activités de l’usine. Mais en 2001, un nouveau groupe s’est porté acquéreur de la Fromagerie St-Fidèle et a rapidement relancé la production de leur fameux suisse. Pas étonnant que le logo de l’entreprise soit un trèfle à quatre feuilles. L’histoire raconte qu’une jeune fille en aurait trouvé un sur les lieux de l’agrandissement de la fromagerie…