Mars 2020 : mes papilles se réjouissent déjà lorsqu’arrive par la poste, directement de Sainte-Lucie-de-Beauregard, mon lot de sirop d’érable de l’année, accompagné de caramel et de beurre d’érable. J’ai alors envie d’en apprendre plus sur l’entreprise Bistreau d’érable, par qui la tradition du printemps se rend jusqu’à mon village isolé.
Noémie et Jérôme voulaient s’établir en campagne, mais n’avaient pas d’endroit précis en tête. Ils sont allés donner un coup de main à la famille de Jérôme pour la saison des sucres et pour aider à la construction d’une nouvelle propriété, à Sainte-Lucie-de-Beauregard. Ils ont alors loué une maison dans le village pour quelque temps ; mais, c’est une partie de l’érablière qu’ils ont fini par acheter, pour mettre en œuvre leur projet étape par étape. Jérôme, ébéniste de formation, qui a bûché et scié le bois qui lui a servi à construire le bâtiment actuel, s’occupe des opérations en forêt et à la cabane. Noémie s’occupe de la transformation des produits, de la gestion et de la salle à manger. Seize ans après leur installation, le couple a une érablière de 30 000 entailles, un restaurant ouvert en saison et un fils qui souhaite prendre la relève de l’entreprise. « Ce n’était pas vraiment prévu qu’on reste ici longtemps ; mais on s’est laissé aller au fil des opportunités qui se sont présentées », raconte l’acéricultrice originaire de Montréal, qui a étudié en anthropologie.
Complicité à table
Même si des tubulures, plus efficaces, ont depuis quelques années remplacé les traditionnelles chaudières, les entrepreneurs veulent garder un côté convivial à l’entreprise, qui emploie principalement des membres de leur famille. Cette authenticité se voit, entre autres, lorsqu’on met les pieds dans son sympathique restaurant d’une cinquantaine de places. « C’est notre vraie vie ! J’arrive, je fais mon service et, ensuite, je vais faire du sirop. Si j’ai travaillé là-dessus toute la nuit, ça paraît dans ma face ! Les gens viennent parler à Jérôme, quand il fait son bouillage, puisqu’on peut l’observer en chemin vers la salle de bains. Ils aiment cette proximité », explique fièrement l’entrepreneure, qui relève toutefois les défis d’être un couple en affaires, surtout lorsque les partenaires doivent travailler jusqu’à 80 heures en haute saison.
La pandémie a malheureusement écourté la saison 2020 du restaurant du Bistreau d’érable. « Tout ce qu’on ne peut pas faire pendant la pandémie, c’est la base de la cabane : être collés, piger dans les mêmes assiettes… », déplore Noémie. Cette nouvelle réalité a aussi ébranlé les valeurs environnementales de l’entrepreneure, qui ne s’attendait pas à faire autant de prêt-à-manger dans les derniers mois.
Dans un endroit où on est habitués à ce que la nourriture abonde, Noémie tente de réduire le plus possible les déchets. Les mets au menu sont nombreux et servis en petites quantités… puisqu’on peut toujours en redemander ! Balou, le chien familial, se délecte des restants et un ami prend le compost pour ses poulets. « On ne peut pas être 100 % zéro déchets, mais chaque petite chose nous fait avancer », explique Noémie. Elle ajoute qu’elle se questionne toujours sur ses choix de contenants, cherchant des options qui concordent avec les valeurs et les besoins de l’entreprise, qui vend maintenant certains plats prêts à manger à l’année.
L’intérêt pour le développement durable se voit aussi dans le menu du Bistreau d’érable, qui saisit chaque occasion de mettre en avant les producteurs de la région. « J’ai fait mon menu en premier selon mes envies de plats et, après, pour chaque ingrédient, je vais chercher des options locales. » Ce sont maintenant plus d’une vingtaine de producteurs de la région qui se retrouvent dans les assiettes du restaurant, que ce soit pour la viande, les protéines végétales, les fruits et légumes, les farines et les alcools. Les végétariens et végétaliens peuvent aussi « swigner la bacaisse dans l’fond d’la boîte à bois », avec les nombreuses options végés du menu. Dans les saveurs créatives du restaurant, on trouve notamment du jambon (et du tofu) fumé à l’érable et à l’argousier et une salade de betteraves et de pommes biologiques.
Diversification de l’offre
La majorité de la production de sirop d’érable est achetée en vrac par une ferme de la région, qui exporte à divers endroits, dont au Japon et en Allemagne. Mais, chaque saison, Noémie et Jérôme gardent leurs coups de cœur pour la vente directe et la transformation. L’épicerie du village et quelques commerces de la région vendent leurs produits ; sinon, pour déguster ces derniers et leur sirop, il faut passer commander sur leur boutique en ligne ou se rendre sur place.
Si l’envie vous prend de sortir de l’autoroute 20 pour aller visiter la région de Chaudière-Appalaches, Noémie vous conseille de vous rendre au parc des Appalaches, un incontournable dans la région et un endroit magnifique pour digérer ses produits d’érable fraîchement dégustés. Une randonnée sur le mont Sugar Loaf, du haut duquel on voit les États-Unis, est aussi un classique à Sainte-Lucie. La rivière Noire, qui passe dans le village, est idéale pour les sports nautiques. Elle recommande aussi la pourvoirie Daaquam, située dans un village voisin, pour ses forfaits de plein air qui incluent un repas au Bistreau d’érable. Enfin, pour compléter une balade dans Chaudière-Appalaches avec des saveurs locales, Noémie vous suggère Cassis et Mélisse, la microbrasserie de Bellechasse, et Bisons Chouinard.
Parmi les projets à venir pour Noémie et Jérôme, il y a l’idée de bonifier l’expérience de la cabane, qui offre évidemment la traditionnelle visite guidée et la dégustation de tire sur neige. Ils veulent aussi créer un économusée, où ils exploreront ce que représente ce rendez-vous printanier qui amène les Québécois à aller déguster un repas typique à la cabane à sucre. « C’est une tradition assez forte. On connaît tous le menu, on sait ce que c’est que d’aller à la cabane avec ses grandes tablées, ses assiettes à partager », explique-t-elle.