Justine Chouinard et Annie-Claude Lauzon sont jeunes, dynamiques et enthousiastes. Unies dans la vie comme dans leurs projets, elles ont lancé La Fermette, en 2017, une petite entreprise de jardinage-maraîchage. Ce choix, elles l’ont fait après des années à s’intéresser à l’agriculture et aux questions alimentaires. « Nous n’avons pas grandi à la campagne ni étudié dans ce domaine, mais nous avons, pendant des années, été impliquées dans des initiatives d’écologie urbaine, comme les jardins communautaires et l’apiculture. »
Elles se sont alors posé plusieurs questions, qui ont guidé leurs pas : d’où provient notre nourriture ? Comment la produit-on ? Quelle place l’agriculture occupe-t-elle dans nos campagnes et quel rôle y joue-t-elle ? « Nous avons compris que la ferme pouvait être synonyme de changement », confient les deux maraîchères, qui ont travaillé dans plusieurs exploitations, dont la ferme-école des Quatre Temps, un modèle en matière d’agriculture bio-intensive et de formation de futurs entrepreneurs. C’est d’ailleurs par ce biais qu’elles ont rencontré ceux qui allaient devenir leurs partenaires dans La Fermette.
Un nouveau modèle
On entend de plus en plus parler de culture biologique et de restaurants qui disposent de leur propre jardin. Mais le projet de Justine et d’Annie-Claude est beaucoup plus inusité. « Les copropriétaires du Café Parvis et de la Buvette Chez Simone, à Montréal, voulaient démarrer un projet qu’ils appuieraient sans en être responsables. C’est grâce à leur soutien que tout a commencé. Ils ont investi dans La Fermette et entretiennent avec nous une relation privilégiée, tout en nous laissant décider des produits et des marchés que nous desservons », expliquent les jeunes femmes, qui ont notamment pu compter sur les équipes des deux restaurants pour une grande corvée de préparation de leur lopin de terre. « Nous avons même eu droit, ce soir-là, à un grand repas pour tout le monde préparé par les chefs des deux restos. C’était génial ! »
Ce modèle d’affaires novateur touche toutes les sphères de La Fermette, de la production à la commercialisation. Les maraîchères ont effectivement choisi de pratiquer une agriculture bio-intensive et diversifiée leur permettant de fournir, de mai à novembre, leurs deux partenaires ainsi que des particuliers et des restaurants. La Fermette n’est toutefois pas ouverte aux visiteurs ou aux autocueilleurs, en dehors d’événements ciblés. « Nous ouvrons nos portes le vendredi à notre communauté locale, recevons des bénévoles le jeudi et planifions de faire des repas spéciaux en collaboration avec certains chefs, mais nous n’avons pas une vocation agrotouristique », précisent Justine et Annie-Claude.
Culture miraculeuse
On comprend pourquoi les deux maraîchères reçoivent peu : La Fermette est toute petite ! Elle s’étend sur une terre de 0,7 hectare, ce qui pourrait effrayer bon nombre d’agriculteurs. « Ici, c’est comme un grand jardin. Il ressemble à ceux des ouvriers français à la fin du XIXe Siècle, mais il dispose des toutes dernières technologies pour être le plus efficace possible. » Et cette efficacité n’est pas liée à des intrants chimiques ou encore à de la machinerie lourde. Les jeunes femmes n’ont même pas de tracteur ! Elles misent plutôt sur la diversité et des stratégies naturelles qui ont fait leurs preuves dans les fermes bio-intensives.
Il pousse ainsi de 30 à 40 variétés de légumes sur ce petit lopin de terre agrémenté d’une serre chauffée, d’une autre semi-chauffée et de tunnels chenille qu’on déplace selon les besoins. Certains légumes sont produits en grande quantité pour alimenter les restaurants, comme des laitues, des variétés de tomates cerises et patrimoniales, des épinards, des radis, des rabioles et des carottes nantaises. D’autres, en revanche, sont destinés aux particuliers et sont saisonniers (patates nouvelles, haricots, pois verts et broccolinis). « Notre modèle de production est différent des paniers bios habituels. Mais notre petite terre peut tout de même nourrir l’équivalent de 150 familles ; ce n’est pas négligeable. »
La ferme en ville
À défaut de recevoir des visiteurs ou de vendre leurs légumes à de grandes surfaces, Justine et Annie-Claude destinent 50 % de leur production à des marchés fermiers. Elles ont d’ailleurs vu évoluer celui des Éclusiers, situé dans le Vieux-Port de Montréal. À leurs yeux, contribuer à nourrir un quartier avec des produits frais et naturels est très valorisant. « Nous récoltons le vendredi et allons vendre tout cela au marché le lendemain. Alors, évidemment, nos légumes sont bien plus goûteux que ceux que l’on retrouve dans des épiceries, même biologiques », expliquent-elles. Le prix a-t-il une incidence sur cette popularité ? « Il n’y a pas tant de différence que cela, affirment-elles. Et nos clients ont conscience qu’en nous appuyant, ils encouragent un mouvement qui ne laisse pas de dette écologique. »
Chaque mercredi d’été, les deux jeunes femmes participent aussi à un autre marché fermier à la Buvette Chez Simone, leur partenaire. Un autre quartier à nourrir et une belle initiative, puisque tous les légumes invendus sont utilisés par le chef du restaurant, qui modifie son menu en conséquence. Il fallait y penser.
Des défis
Dans une société encore dominée par une vision ultraconsumériste et par un imaginaire collectif assez traditionnel, être des femmes agricultrices, optant, de surcroît, pour un modèle de production bien différent des normes, cela comporte son lot de défis. Justine et Annie-Claude ont d’ailleurs montré au petit écran les hauts et les bas du démarrage de La Fermette en participant à la deuxième saison de l’émission Les fermiers. « C’est sans filtre, on vous prévient. Moments tough inclus ! disent-elles en riant aujourd’hui. Mais cette expérience illustre bien les paris que comporte l’agriculture. Même si on pense que tous les paramètres sont réunis pour réussir, on doit apprendre à lâcher prise avec les aléas de la météo, les invasions d’insectes ou bien les visites impromptues de chevreuils dans les champs. » Malgré tout, La Fermette se fraie un chemin de plus en plus sûr depuis trois ans et prouve, comme d’autres initiatives du même genre, menées d’ailleurs par de plus en plus de femmes, qu’il est possible d’envisager l’agriculture autrement. Bravo, les filles !