Miam ! C’est ce qu’on pense tout d’abord en entrant dans cette jolie demeure en bois de la petite bourgade de Saint-Jean-de-Matha. De délicieux effluves nous montent aux narines, et des montagnes de biscuits, de gâteaux et de déclinaisons alléchantes de pain d’épices nous font de l’oeil. On retrouve immédiatement son coeur d’enfant. Mais ici le pain d’épices n’est pas simplement une vedette gourmande.
Il est aussi et surtout le moteur d’une cause plus ambitieuse, celle de cultiver l’intérêt pour la lecture des enfants. « N’oublions pas que le pain d’épices est présent dans presque toutes les cultures, et qu’il a été au centre de nombreux contes. Il constituait donc un lien idéal entre la mission que nous voulions remplir et le moyen d’y parvenir », rappelle Louise Mathieu-Mills, la fondatrice de cette maison unique en son genre.
Retraitée du milieu de l’éducation, la doyenne de 78 ans n’a pas chômé depuis 20 ans. Pourquoi avoir choisi Saint-Jean-de-Matha plutôt que Montréal ? « Le projet initial était prévu dans Hochelaga- Maisonneuve, mais je me suis rendu compte que les besoins étaient plus criants dans cette MRC, qui arrive au 98e rang sur 99 au Québec en termes de décrochage scolaire. C’est simple, quand j’ai vu à quel point les bibliothèques de la région étaient pauvres, j’en ai pleuré. Alors, j’ai mis tout le monde à contribution ! »
Trilogie épicée
Dans la bouche d’une battante comme Louise, ces mots ne sont pas vains. Entourée d’une trentaine de bénévoles, la retraitée a créé trois entités : une maison pour accueillir des clients friands de sucreries et des enfants avides d’animations (la Maison du pain d’épices), une petite chaîne de production de produits de pain d’épices (la Fournée) et une fondation à même de redistribuer le fruit des ventes dans l’achat et le don de livres pour les jeunes (la Guilde du pain d’épices).
« Nous organisons des ateliers culinaires et littéraires pour les enfants, en plus de réaliser quotidiennement des ventes. Nous menons aussi deux grandes campagnes de financement chaque année : les Citrouilles magiques, au cours de laquelle chaque citrouille vendue se transforme en livre, et le Marché de Noël de Joliette, où nous vendons des parts d’un gâteau de pain d’épices géant. »
L’ensemble de ces initiatives permet à la Fondation d’acquérir et d’offrir une collection complète de livres de l’ordre de 2 000 dollars à sept bibliothèques locales, ainsi que d’élargir son champ d’action en envoyant des caisses de littérature jeunesse jusqu’au Burkina Faso. « Nous avons jusqu’à aujourd’hui aidé plus de 10 000 enfants de partout dans le monde. Et nous en sommes très fiers », affirme la doyenne.
Le goût de la lecture
Comme Louise l’explique régulièrement aux clients curieux qui visitent la Maison du pain d’épices, l’idée derrière tout ce projet est de rejoindre les jeunes, où qu’ils se trouvent et quelle que soit leur situation. « Cela peut paraître étonnant pour des familles dont les enfants sont bien nourris, habillés et éduqués, mais selon les statistiques de l’UNICEF, ils font partie d’une catégorie privilégiée, car on estime qu’il faudra trois générations pour enrayer l’analphabétisme et le décrochage scolaire à travers le monde. »
La pauvreté et les problématiques sociales que vivent de nombreux jeunes les désintéressent souvent de la lecture, un moteur pourtant essentiel au développement de leurs facultés intellectuelles. Toutefois, la retraitée en est convaincue, chaque enfant même récalcitrant peut se réconcilier avec les livres. Elle en accueille d’ailleurs beaucoup au sein de sa petite maison en bois. Des gourmands, des futés, des laissés pour compte, des autistes… « Chaque enfant a sa façon de comprendre, il suffit de trouver le moyen de le rejoindre. Prendre le temps de lui présenter des livres comme il faut. »
Cette approche donne des résultats tangibles, puisque les ateliers de cuisine et de contes de la Maison du pain d’épices (gratuits) font le plein, et les jeunes sans ressources partent avec le livre de leur choix, les bibliothèques locales sont plus fréquentées, les caisses envoyées en Afrique sont chaque année plus nombreuses. Bien sûr, cette petite maison ne change pas le monde. Mais elle donne de la joie et de l’espoir à des milliers d’enfants. « Et je pense que notre vraie recette secrète, ce n’est pas celle de notre pain d’épices, mais celle qui vient de notre coeur, conclut Louise. Ici, les enfants savent qu’on les aime, c’est l’essentiel. »