La renaissance du blé

Après avoir presque disparu des champs, le blé panifiable du Québec a aujourd’hui le vent dans les voiles grâce au travail de longue haleine mené par Les Moulins de Soulanges, qui travaillent en collaboration étroite avec la boulangerie Première Moisson. Voici le grand retour dans la Belle Province de cette céréale et de son impact positif.

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Des champs de blé à perte de vue. C’est ce que connaissait le Québec aux 17e et au 18e siècles, un âge d’or qui a cessé au début du 20e siècle lorsque les plaines de l’Ouest canadien ont été considérées comme plus profitables pour cette culture. Peu à peu, les poches de blé qui nourrissaient les moulins du Québec se sont taries, à tel point qu’on avait presque oublié qu’on en avait produit ici. C’est donc avec stupeur que Bernard Fiset, boulanger et cofondateur de la boulangerie Première Moisson, a un beau jour de 2005 vu arriver dans son bureau Loïc Dewavrin, son voisin agriculteur, avec une petite poche de grains de blé qu’il venait de récolter. «Mon frère était désarçonné, confirme Josée Fiset, cofondatrice et présidente de l’entreprise. Nous cherchions depuis déjà longtemps une solution pour pallier l’uniformité du blé que nous importions de l’Ouest, dont les caractéristiques rendaient les croûtes de nos pains un peu plus caoutchouteuses quand le taux d’humidité était élevé, alors c’était pour nous une grande surprise de savoir qu’on pouvait peut-être produire du blé panifiable ici, chez nous!»

De ce «peut-être» est alors née l’idée, un peu folle au premier abord, d’ensemencer un lopin de terre de Loïc Dewavrin avec du blé qui permettrait d’améliorer les recettes de pains de Première Moisson. Et les résultats ont été si concluants qu’au bout de deux ans, Bernard Fiset s’est assis avec Robert Beauchemin, un meunier qui fournissait déjà l’entreprise en farines biologiques à travers La Milanaise, avec une idée encore plus folle: fonder un moulin qui travaillerait seulement avec des agriculteurs québécois et avec une approche environnementale répondant aux standards de Première Moisson. Le meunier était audacieux, et le boulanger avait déjà plusieurs fois défrayé la chronique avec ses pains sans farine traitée ni blanchie – un quasi-scandale lors de la création de la boulangerie en 1992 –, alors ils n’étaient pas à une innovation près. Les Moulins de Soulanges venaient de voir le jour.


En route vers l’agriculture raisonnée

Changer la mentalité et les habitudes d’agriculteurs qui ont depuis des dizaines d’années travaillé leurs terres de manière conventionnelle en utilisant des pesticides ne se fait pas en un clin d’œil. Leur proposer en plus de produire du blé panifiable, ce qu’ils ne faisaient plus depuis près d’un siècle, relevait du défi. Mais la conviction profonde que Bernard Fiset et Robert Beauchemin nourrissaient pour ce projet s’est révélée communicative. Douze agriculteurs se sont joints à eux en 2007… et ils sont plus de 300 aujourd’hui à avoir embrassé la voie de l’agriculture raisonnée, dont le principe repose sur la réduction, voire l’élimination des pesticides dans la production. «C’est un intermédiaire entre l’agriculture traditionnelle et l’agriculture biologique, explique Josée Fiset. On ne traite que lorsqu’on a besoin de traiter, et le moins possible. Ça permet de conserver ses récoltes, tout en ayant une démarche environnementale.»

Après 10 ans d’activité, les résultats de cette nouvelle approche sont tangibles. La conversion de quelque 10 000 hectares de terres cultivées de manière conventionnelle (soit 65% des terres agricoles vouées à la culture du blé panifiable au Québec) opérée jusqu’à maintenant permet chaque année de réduire de plusieurs tonnes l’utilisation de pesticides et d’azote dommageables pour les sols, les cours d’eau, les gaz à effet de serre et, par extension, d’améliorer la santé des consommateurs. «Ça répond à nos valeurs profondes chez les Fiset. Notre mère a grandi sur une ferme, alors pendant notre enfance, nous n’avons jamais eu aucune conserve, ni aucune sauce ou céréale du commerce à la maison. Nous avons donc dès le début voulu avec Première Moisson intégrer ces principes naturels à nos produits. Il était fondamental pour nous que nos farines soient sans additifs, que la fermentation et le pétrissage de nos pains soient réalisés de manière artisanale par des vrais boulangers. Les Moulins de Soulanges ont constitué en ce sens une de nos plus belles réalisations, car ils conjuguent notre souci de qualité et de traçabilité, le profond respect que nous avons pour notre métier et nos collaborateurs, et notre désir d’encourager l’environnement.»

Grains prometteurs

Pour parvenir à réaliser leur mandat, Les Moulins de Soulanges se sont dotés d’une équipe d’agronomes épaulant les agriculteurs dans leur transition, étape par étape. Si bien que le blé rayonne de nouveau aujourd’hui aux quatre coins du Québec, d’Abitibi-Témiscamingue jusqu’en Gaspésie. Mieux encore, tout comme le vin, le blé s’exprime différemment dans chaque région, avec des arômes particuliers et des propriétés boulangères qui le sont tout autant. Les Moulins de Soulanges ont par conséquent réussi bien plus qu’une réintroduction du blé panifiable au Québec. Ils sont aussi à l’origine de la création de farines exclusives portant la signature du Québec et dont profitent aujourd’hui un nombre croissant de boulangeries canadiennes et américaines.

«Tout ne s’est évidemment pas fait en un jour, raconte Josée Fiset. Nous avons dû fournir un travail énorme en boulangerie au cours de la première année pour stabiliser nos procédés avec ces nouveaux assemblages de farines. Nous avons cependant eu la grande chance de pouvoir compter sur nos clients, qui se sont montrés très patients avec nous lors de cette période charnière parce qu’ils étaient contents d’encourager des producteurs d’ici et conscients qu’il s’agissait non pas d’une initiative isolée, mais d’un vrai projet sociétal qui allait bien au-delà du consommateur. Sans eux et sans la passion déployée par les agriculteurs, les agronomes et les boulangers qui se sont intégrés à ce processus, rien de tout ça n’aurait été possible.»

Et ce champ des possibles est plus que prometteur. Depuis 2007, Les Moulins de Soulanges ont multiplié par 30 leur capacité de production, avec une récolte de plus de 45 000 tonnes de blé (soit 40 000 tonnes de farine) réalisée en 2018. Et la perspective d’atteindre les 80 000 tonnes d’ici cinq ans est à l’ordre du jour. «Avons-nous accompli un petit miracle? Peut-être, dit Josée Fiset. Grâce aux Moulins de Soulanges, qui nous fournissent maintenant plus de 80% de nos farines, nous avons rendu des agriculteurs, des boulangers et des consommateurs heureux.» Comme quoi innover, encourager la production locale et les pratiques environnementales peut être payant… et gourmand.

Première Moisson est fier d’avoir participé au retour de la culture du blé au Québec et d’encourager l’agriculture raisonnée