Lune de miel dans le cratère

L’image est bucolique et ressemble à une carte postale: entre le massif de Charlevoix et le fleuve, une petite bicoque en bois trône au milieu des prés, comme un phare. Sur son toit, une alvéole et une abeille peintes en jaune. On peut y lire en grosses lettres «Miellerie du cratère». Petite visite.

Ce nom, choisi par les propriétaires de l’entreprise Mathieu Gauthier et Daniel Robichaud, n’est pas anodin. Les ruches qui leur permettent de faire leur miel sont installées précisément là où un astéroïde est tombé il y a environ 400 millions d’années dans la région de Charlevoix, forgeant par la même occasion son relief. Avec ce nom, les deux Québécois, qui se sont rencontrés en Alberta, voulaient «mettre en valeur ce patrimoine historique» en plus des richesses qu’offre le territoire. Pourtant, aucun des deux n’avait la vocation d’apiculteur avant de se lancer dans l’aventure. «Mon oncle avait des terres et je me suis demandé comment je pouvais faire pour en vivre en développant une nouvelle production. Finalement, on a choisi les abeilles», explique Mathieu.

Pour apprendre à les apprivoiser, il suit des cours d’apiculture au Collège d’Alma et se découvre une affection pour ces insectes. C’est d’ailleurs cette passion qui lui donne le goût de continuer, car il est encore difficile de ne vivre que de l’apiculture. «Si je n’étais pas passionné comme je le suis, ça fait longtemps que j’aurais arrêté», explique-t-il. Pourtant, la rencontre avec les insectes ne s’est pas faite dans la douceur. «Lorsque j’ai ouvert ma première ruche, je me suis fait piquer une vingtaine de fois en une minute seulement. C’était une ruche un peu plus agressive que les autres», se souvient-il. Pas de quoi le décourager pour autant: aujourd’hui, Mathieu et son associé Daniel possèdent 161 ruches et autant de reines.

Les soins

Depuis 2015, il a appris à travailler «en collaboration» avec ses insectes et entretient une véritable relation avec eux. De temps en temps, Daniel lui donne un coup de main. «Il y a un grand respect qui s’est créé de part et d’autre. Il faut être très zen lorsqu’on s’approche d’une ruche, car les abeilles sentent tout de suite dans quel état d’esprit on vient vers elles», explique l’apiculteur. Il a aussi appris à prendre soin de ses petites bêtes, surtout en hiver. De leur survie dépend en effet la cuvée de l’été qui suivra. «On laisse les ruches dehors, mais on les empile sur des palettes de construction, on les recouvre de papier isolant, de mousse, de papier bulle… Tout ça pour les protéger des intempéries. Pour les nourrir, on remplace le miel par du sirop», explique Daniel, qui ne cache pas que lors du grand déballage, ils ont parfois de mauvaises surprises. En effet, lorsqu’une reine meurt, sa ruche entière est perdue. «On a un taux de perte d’environ 15 à 20% en hiver», précise Daniel.


En été, l’ambiance est différente. «Je profite du paysage en travaillant. Je me fais des playlists juste pour travailler dans les ruches», explique Mathieu. C’est à cette période, dès que les dernières neiges ont fondu, que les abeilles sortent pour butiner les fleurs aux alentours. Trèfles, pissenlits, fleurs de pommiers ou encore verges d’or, les butineuses ont le choix et volent généralement dans un rayon de 2 à 3 kilomètres autour de leur ruche. En moyenne, la miellerie du cratère produit 32 kilos de ce nectar doux et sucré à tartiner sur une tranche de pain, à ajouter dans sa tisane ou à manger directement dans le pot avec une grande cuillère.

Et ne soyez pas surpris que leur miel cristallise! Ce phénomène naturel atteste bien souvent de la bonne qualité du produit. «Les gens ont une fausse idée de la cristallisation du miel. J’en ai déjà entendu qui pensaient qu’il était bon à jeter», raconte Mathieu.

«On produit aussi de la gelée de pomme et miel, de la confiture de bleuets et miel, du miel crémeux et des produits cosmétiques comme du savon et du baume à lèvre.» À part la confection des cosmétiques qu’ils confient à la Lavandière de Baie-Saint-Paul, les deux amis transforment eux-mêmes ce qu’ils récoltent dans leurs ruches, éparpillées sur 25 kilomètres linéaires entre Saint-Irénée et Les Éboulements.

Le Québec produit à peine 5% de la production canadienne de miel d’après la Fédération des apiculteurs du Québec, l’essentiel provenant des provinces des Prairies. Mais les deux compères revendiquent la particularité du terroir de Charlevoix, qui donne «un caractère particulier aux produits». Il y a aussi, d’après eux, une aura spéciale qui plane sur la région depuis quelques années: «Tout le monde dans le coin s’efforce de faire des choses comme on peut les trouver dans la nature, sans trop faire de transformations ni d’ajouts», explique Daniel.

Lorsqu’ils ne travaillent pas dans le communautaire (pour Mathieu) ou dans l’événementiel (pour Daniel), les deux amis vendent leurs produits dans différents commerces de la région et directement dans leur petite grange en bord de route, entre mai et octobre. «Cette grange, c’est un peu notre carte de visite. Les gens prennent la route du Fleuve et font généralement un arrêt chez nous pour prendre des photos», explique Mathieu. Il faut dire que la vue sur le Saint-Laurent y est imprenable, et qu’elle s’admire facilement une cuillère de miel en bouche.

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