Maxime Lizotte a grandi comme de nombreux petits Québécois. Il a suivi son primaire et son secondaire dans le coin de Québec. Il a parlé français à la maison, a appris à sacrer, s’est fait des amis. Il est né loin des traditions de ses ancêtres à Cacouna, la toute petite réserve malécite située près de Rivière-du-Loup. De cette nation fractionnée au fil du temps, il n’a gardé que quelques souvenirs. Celui par exemple de son grand-père, qui avait bataillé pour se faire reconnaître et aller chercher ses cartes lorsqu’il avait 10 ou 12 ans. Ou bien ces groupes Facebook, destinés à retisser virtuellement un lien entre les membres d’une communauté semée aux quatre vents par les aléas de l’Histoire.
Maxime n’a pas vraiment souffert de la distance entre son éducation à la québécoise et ses origines. Il a cependant eu un déclic quand il a étudié la cuisine à l’École hôtelière de la Capitale. «Au cours de mon cursus en cuisine du marché, puis lors de ma spécialisation en pâtisserie contemporaine, j’ai eu la chance de rencontrer le chef Éric Fontaine, pionnier dans le domaine des produits sauvages au Québec…» L’enseignant a amené Maxime à se poser des questions. Pourquoi cuisine-t-on tant de plantes et de légumes différents, mais pas ceux qui constituent l’ADN de notre territoire? Et pourquoi une bonne partie des trésors naturels dont nous disposons sont-ils si méconnus, voire oubliés, alors qu’ils ont constitué pendant des millénaires la base de l’alimentation de peuples entiers de chasseurs, cueilleurs et pêcheurs?
Maxime a alors pris une décision: «J’ai voulu renouer avec mes racines. En savoir plus sur tous ces produits sauvages et les intégrer à ma cuisine. Je sentais déjà qu’un éventail infini de saveurs et de textures serait à ma disposition.» Parallèlement à ses études, le jeune homme a donc commencé à acheter des livres traitant de mycologie et de botanique, les a parcourus, dévorés, en essayant d’en mémoriser tout le contenu. Puis il est parti de plus en plus souvent dans les bois, sac au dos, pour donner vie à ses connaissances. «C’est simple, je prenais tout ce que je trouvais! Je le regardais attentivement, je le touchais, je le sentais. Et ensuite, je sortais un livre de mon sac pour trouver ce dont il s’agissait et savoir si c’était comestible.»
De la table aux produits
Au bout d’un an et demi de recherches assidues et de tests tous azimuts, le désormais cuisinier et passionné de cueillette pouvait passer à la prochaine étape, celle d’intégrer ses découvertes à son savoir-faire. Attiré par la fine gastronomie, il s’est d’ailleurs perfectionné dans plusieurs établissements de Québec, dont le bistro Fin Gourmet, le Château Bonne Entente et le Saint-Amour. Mais comme Maxime a aussi une âme d’entrepreneur, il a tout de suite vu du potentiel dans sa rencontre avec Bryan Gélinas, dont la petite entreprise de mélanges d’épices sauvages Les Bois dans la tête vivotait. Ils ont donc fondé fin 2016 Origine boréale.
Le duo, avec Maxime aux commandes des recettes et Bryan à l’administration, a commencé à produire une gamme assez étoffée d’épices, confitures, gelées et moutardes à base d’herbes, d’aromates et de petits fruits nordiques. «Nous avons été un peu à la pêche, avoue le cuisinier, en testant un certain nombre de produits.» Effectivement, si certaines créations ont immédiatement été populaires, comme les mélanges d’épices pour le BBQ et le gravlax, d’autres ont fait chou blanc, à l’image des mélanges concentrés. Ce tri naturel a permis aux deux entrepreneurs de trouver leur signature, qui se décline à présent autour d’une sélection de produits phares. Parmi eux, une intrigante confiture aux pommes et aux nards des pinèdes (le bourgeon de la comptonie voyageuse), ainsi qu’une moutarde aux pousses de conifères ou une autre, surprenante (elle est rose), aux petits fruits nordiques.
Au fil des saisons
Au terme de deux ans d’activité, Origine boréale est encore au stade artisanal. «Ça ne me dérange pas, dit Maxime. Bryan et moi travaillons chacun de notre côté dans des sphères différentes – Maxime est aujourd’hui chef de partie au restaurant Légende par La Tanière –, et nous priorisons la qualité à la quantité.» Tout s’organise donc au gré des approvisionnements, qui ne sont pas continus dans le monde sauvage, et du temps de production par la Conserverie Limoilou qui dispose d’installations certifiées par le MAPAQ. Certains produits peuvent être épuisés un temps jusqu’à un nouvel arrivage. Qu’importe. «Notre objectif est avant tout de mettre en lumière les richesses sauvages du Québec et d’assurer leur pérennité. Nous travaillons donc avec des petits cueilleurs de confiance qui ont la même vision que nous.»
Maxime indique que la majorité des éléments qui constituent ses recettes peuvent être dénichés dans la région de Portneuf, qu’il a parcourue de long en large depuis quatre ans pour réaliser ses propres découvertes. «Maintenant, lorsque je cherche quelque chose, je m’en vais sur Google Map, je repère selon mes besoins une étendue forestière ou des rivières, je prends ma voiture et je pars à l’aventure pour essayer de le trouver.» C’est ainsi qu’il a débusqué de la menthe sauvage au bas de falaises, de l’épinette comestible dans une zone de conifères, ou encore 17 kilos de raisins sauvages au milieu de nulle part. L’art de la cueillette n’a pas tant changé que ça depuis des millénaires, après tout. Encore faut-il des passionnés comme les jeunes Maxime et Bryan pour la perpétuer et la réinventer.