Elle a de quoi détrôner un jour la canneberge dans les cœurs des Québécois. Petite, acidulée comme sa cousine mais plus sucrée, la cerise griotte est pourvue de beaucoup de qualités nutritives. Et elle est la reine des vergers de Nancy et Mathieu Bouchard. Cette fratrie installée à Saint-Paul-d’Abbotsford, sur les terres familiales, a misé sur le petit fruit il y a environ six ans. «Notre famille est faite de producteurs agriculteurs depuis plusieurs générations. La nôtre est la troisième. Mon frère souhaitait reprendre une parcelle et m’a demandé si j’embarquais dans son projet», raconte Nancy.
Pâtissière de formation, elle a toujours été impliquée dans l’exploitation, mais un peu moins dans l’optique de prendre la relève que son frère, avoue-t-elle. Mais elle confie que déjà toute petite, on pouvait l’apercevoir au bord du chemin à vendre des fraises sous le soleil estival. Pour lancer leur entreprise, le frère et la sœur choisissent la cerise griotte afin de diversifier l’offre qui existe déjà dans l’exploitation. Ils se baptisent Croque Cerise. «Au début, on ne savait pas trop à quoi s’attendre. La griotte n’est pas très connue et est très peu cultivée au Québec. Mais en Saskatchewan, certains ont développé une espèce qui résiste à nos climats, alors on s’est dit qu’on allait essayer», explique Nancy.
Possibilités et bienfaits
Elle ne cache pas son penchant pour ce petit fruit rouge acidulé: «Je mange des griottes comme ça, nature… Tout le monde n’aime pas, car elles ont un petit goût suret, mais moi ça ne me dérange pas.» La griotte est la cerise la plus transformée au monde, et Croque Cerise ne se prive pas de toutes les possibilités culinaires qu’elle offre. Nancy et Mathieu la déclinent donc en tartinades, confit d’oignon, vinaigrettes, jus ou encore collation enrobée de chocolat. La propriétaire confie chercher de nouveaux produits à créer pour y intégrer d’autres fruits typiques du Québec comme le bleuet et la fraise.
Mais pour l’instant, leur délice qui retire particulièrement l’attention est le jus de cerise concentré, dont un litre nécessite 25 livres de fruits. Le duo a développé sa technique de fabrication en faisant des essais parfois réussis, parfois ratés, et en s’inspirant du savoir-faire déjà existant dans la région. «La griotte est considérée comme un “superfruit” qui contient beaucoup d’antioxydants [plus que la prune ou le chocolat noir] et de flavonoïdes, des anti-inflammatoires naturels utilisés pour soulager l’arthrite ou encore la goutte», explique Nancy.
L’entrepreneure cite certaines études scientifiques, dont celle d’un professeur de l’Université McGill, qui auraient démontré que les nutriments contenus dans les griottes aident à réduire le risque de contracter des maladies cardiovasculaires et à prévenir les pertes de mémoire. Le petit fruit est même 20 fois plus riche en vitamine E que la canneberge. Aussi belle de l’intérieur que de l’extérieur! «La griotte est aussi l’une des rares sources alimentaires de mélatonine, l’hormone du sommeil, ce qui lui permettrait de faciliter nos cycles de sommeil», poursuit Nancy.
Apprentissages
Pour fabriquer cet élixir de santé, les fruits sont pressés, mais pas à leur maximum. «Nous gardons le reste pour le vendre à des microbrasseries ou des distilleries qui s’en servent pour le trempage», détaille la copropriétaire. Depuis six ans qu’elle cultive la griotte, Nancy confie que la tâche n’est pas toujours évidente; certaines années ont déjà été plus difficiles que d’autres, notamment à cause du gel qui a touché les arbres encore en fleurs. Contrairement à la Saskatchewan, le Québec dispose d’un climat plus humide qui ne plaît pas forcément aux cerisiers, surtout lorsque la température baisse. «Ça nous est déjà arrivé une ou deux fois. Depuis, mon frère a développé un système qui permet de protéger les plants du gel.» L’expertise de cette culture est en effet encore à ses balbutiements au Québec.
En plus du défi de s’être lancés dans la cerise griotte, Nancy et Mathieu doivent apprendre à travailler ensemble, en famille. Le binôme tient sa force de ses qualités complémentaires, croit Nancy, qui raconte s’être toujours bien entendue avec son petit frère depuis leur tendre enfance. Elle s’occupe du côté création de recettes pour la transformation des cerises et du service à la clientèle, tandis que Mathieu, qui a une formation en électromécanique, gère le travail dans la cerisaie.
«C’est sûr que ça apporte son lot de défis. On est toujours ensemble, on se voit tout le temps, ça rend la chose très émotive, ça vient nous chercher davantage. Mais c’est le fun. Nos enfants jouent ensemble au milieu de nos 500 arbres. On fait de longues journées, mais on passe du temps avec des gens qu’on aime», relativise Nancy. C’est finalement ça, la vraie cerise sur le sundae.