L’homme à tout faire

Globe-trotteur aguerri, le Madelinot Sébastien Cummings s’apprête à inaugurer la 20e saison des Pas perdus, un resto-bar-spectacle-auberge qu’il a façonné à son image avec trois amis.

Cofondateur de l’un des restaurants les plus populaires et emblématiques des Îles, Sébastien Cummings n’a pas l’habitude de se tourner les pouces. Même si l’organisation des spectacles l’occupe grandement au printemps et à l’été, l’entrepreneur de 44 ans préfère le titre d’«homme à tout faire» à celui de directeur de la programmation. «En fait, je programme les shows, mais je gère aussi le restaurant. Quand y a trop de vaisselle, je vais à la plonge. Si y a une chaise brisée, je la répare. Je suis le gars qui règle les problèmes.»

Néanmoins, c’est à lui qu’on doit en grande partie le succès manifeste de la salle de spectacle des Pas perdus, située la porte à côté du restaurant homonyme. Depuis plus d’une décennie, Sébastien s’évertue à construire la programmation la plus éclectique possible afin de rallier les touristes et les Madelinots de tous âges. «Ça fait 2-3 ans que la billetterie va vraiment bien et qu’on est capables d’arriver kif-kif dans notre budget. Pour être rentable, ça me prend des shows qui bougent, durant lesquels les gens vont danser et boire. En général, tout ce qui est folk fonctionne super bien, qu’on pense à 2 Frères ou des artistes acadiens dans le même genre. Après ça, j’y vais aussi avec une certaine logique. Quand les jeunes s’en vont à la fin août, je vise un peu plus les baby-boomers avec des Marjo, des Bobby Bazini… Pis, des fois, je cherche aussi à me faire plaisir avec des artistes que j’aime comme Martin Léon. Ce sont rarement les shows qui vendent le plus par contre.»

Le plaisir guide les choix de vie de Sébastien depuis ses études en tourisme à la fin des années 1990. C’est d’ailleurs en revenant d’un voyage «au Mexique ou au Guatemala» à titre de guide touristique qu’il a eu l’idée de lancer le projet des Pas perdus avec ses amis Chantal et Nancy Cormier ainsi que Robert Bourassa, trois grands voyageurs tout comme lui. Le père des deux sœurs Cormier leur avait alors soumis un ultimatum. «Il venait d’acheter une bâtisse, qui avait toujours été un hôtel ou une auberge. Son plan était de mettre ça à terre pour en faire un parking, mais avant d’entreprendre le projet, il nous a donné l’occasion de faire de quoi avec la place. Il nous a dit : “Faites quelque chose avec ça cet été et si vous réussissez, je vais vous vendre la bâtisse.”»

En 2000, les quatre acolytes ont développé cette idée de commerce multidisciplinaire: un resto-bar au rez-de-chaussée et une auberge au premier étage. «Pour être franc, on s’est un peu fait prendre de court. On était des rêveurs qui connaissaient pas grand-chose à ce milieu-là. Ça a pris du temps avant que les gens de la place nous apprivoisent, car on était vus comme des marginaux. Faut se rappeler qu’à l’époque, côté restauration, tout se ressemblait pas mal aux Îles… Et ça chialait, car on avait pas de club sandwich sur notre menu! Mais bon, on a réussi à prendre notre place en apprenant sur le tas.»

L’appel de la musique

La diversité et l’originalité du menu ont finalement conquis les Madelinots. Notamment reconnu pour ses burgers mettant en vedette les produits du terroir de la région, que ce soit l’agneau, le loup marin, le wapiti, le bœuf ou le flétan, le restaurant n’a pas mis de temps à piquer la curiosité des touristes. Dès le départ ou presque, l’ambiance chaleureuse et festive de l’endroit lui a donné sa particularité. «C’était le party. On était une gang de backpackers qui voulaient avoir du fun. Ça a pas pris de temps qu’on a commencé à inviter des musiciens et qu’on a lancé les jams du lundi, se souvient Sébastien, citant Karkwa, Antoine Gratton, Mononc’ Serge et Fred Fortin parmi ses spectacles les plus mémorables de l’époque. «C’était un peu n’importe quoi… Dès que 21h30 arrivait, on ouvrait les portes de garage et on partait avec les tables du monde qui mangeait pour installer le set-up des shows. On avait parfois des plaintes des chambreurs en haut qui pouvaient pas dormir. Le matin, on croisait les employés qui venaient faire les déjeuners. Ça sentait la robine.»


Les quatre camarades flairent la bonne affaire en 2007 lorsque le cinéma voisin ferme ses portes. Divisée en deux parties distinctes, la bâtisse a un potentiel certain: celui d’accueillir une salle de spectacle à la sonorisation impeccable à l’arrière et un espace bar avec terrasse à l’avant. «On savait que si on faisait rien avec ça, y aurait plus rien de culturel aux alentours. On a donc décidé d’acheter le cinéma, d’arracher les bancs, de mettre du rubber par terre… Bref, on l’a arrangé à notre image.»

En deux temps, trois mouvements, la salle des Pas perdus était née. Avec une programmation plus éclectique et champ gauche que celle du diffuseur régional (Au Vieux Treuil), l’endroit a mis quelques années avant d’installer sa réputation. Les difficultés financières ont toutefois failli avoir le dernier mot sur l’ambition des comparses. «Il y a des années où on était découragés», confie-t-il. «Le problème, c’est que, même si une bonne partie de notre chiffre d’affaires vient de la billetterie, le gouvernement ne nous considère pas comme une salle de spectacle, mais bien comme un bar. Bref, c’est impossible pour nous de recevoir une subvention, contrairement au diffuseur régional. À un moment donné, on s’est sérieusement demandé si on devait fermer, car on était un peu tannés de travailler pour perdre de l’argent. En fin de compte, on a compris qu’à la grandeur de la région et même du Québec, la salle nous amenait un nom, une crédibilité. On perdrait probablement de l’achalandage au resto et à l’auberge si on la fermait.»

C’est d’ailleurs une alliance avec le Vieux Treuil (fermé l’hiver) qui permet à la salle des Pas perdus de poursuivre ses activités au-delà de la saison chaude. «Je leur passe ma salle et ils programment leurs shows. Je ne prends pas de risque l’hiver.»

Au contraire, la saison froide permet à Sébastien de décompresser avant le raz-de-marée estival. Toujours aussi animé par les voyages, l’homme à tout faire est parti trois semaines au Japon cet hiver. «Le fait qu’on est plusieurs propriétaires, on peut se permettre des trips de même. La seule obligation, c’est qu’on soit tous là l’été.»

Même s’il aime la liberté que lui procure son horaire du temps, Sébastien Cummings en appelle à un tourisme moins étriqué. «L’été, on peut pas être plus plein que plein. À terme, on aimerait donc allonger la saison, notamment en développant des forfaits pour des courts séjours à d’autres moments clés de l’année, comme à la fête du Travail. Oui, on est contents que les gens aiment l’été aux Îles, mais on espère un jour pouvoir leur faire découvrir autre chose.»

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