Mettre le feu en bouteille

Dans la petite municipalité lanaudoise de Notre-Dame-des-Prairies, un homme cultive des piments sur le lopin de terre qui jouxte sa maison, pour ensuite les transformer en sirops délicats et en sauces bien relevées. Cet homme, c’est Pascal Adam, un ancien banquier qui a tout lâché pour se consacrer à sa passion.

Certains sont amoureux du chocolat, d’autres du vélo, des timbres ou encore du macramé. Pascal Adam, lui, a tout de suite été séduit par la chaleur qui se dégageait des piments. Enfant, il se prêtait déjà avec sa parenté à des petits concours du jus de tomate le plus épicé en Tabasco. Mais comme on ne vit pas d’une passion aussi singulière que celle des piments, le Lanaudois s’est contenté pendant des années d’en faire pousser quelques plants dans son jardin.

Entrepreneur dans l’âme et bourreau de travail au quotidien, Pascal a été propriétaire d’un salon de billard, employé dans une papeterie puis banquier. Il aimait jongler avec les chiffres et se lancer des défis personnels, si bien qu’il a grimpé rapidement les échelons et a obtenu le titre de directeur hypothécaire quand, en 2014, il a tout remis en question. «Je me suis rendu compte, en faisant un épuisement professionnel, que je ne me trouvais pas vraiment à ma place. Ma nature festive et intègre n’était pas en adéquation avec les attentes de mon milieu. Et comme je n’étais presque jamais chez moi, j’avais le sentiment de ne pas être là pour ma famille, de ne pas endosser mon rôle de père. J’en avais trop sur les épaules.»

Pascal a alors pensé se reconvertir dans l’ébénisterie ou la cuisine. Et c’est finalement à l’École hôtelière de Lanaudière que le banquier est reparti de zéro… et a repris contact avec sa passion d’enfance. «J’ai acheté 10 plants d’une quarantaine de variétés de piments poussant à travers le monde, et j’ai fait des tests en compagnie d’autres étudiants de l’école pour voir ce que ça donnerait.» Un premier produit original est sorti de ces séances de remue-méninges collectives. «Il s’agissait d’un sirop de piment jalapeño non filtré qui a tout de suite plu aux personnes qui le goûtaient autour de nous, ce qui m’a encouragé dans ma démarche.»

Pascal a donc envoyé, à tout hasard, une autre création à un concours de sauces piquantes de Saint-Jérôme et est tombé des nues lorsque le jury a comparé son produit au «Châteauneuf-du-Pape de la sauce barbecue»! «Je ne m’y attendais pas du tout, vu que je n’avais encore rien commercialisé ni standardisé. Mais j’ai vraiment compris le potentiel de mes produits quand j’ai vendu en un temps record toute ma petite production à un marché de Noël peu après. Ma femme m’a dit: “Il faut que tu te lances pour de bon, là.” Et j’ai foncé.»

Piment à toutes les sauces

On ne devient pas le roi de la sauce piquante en un jour. Pascal s’est livré pendant quelques mois à la standardisation de 18 recettes qui correspondraient à la signature qu’il voulait donner à ses produits. Parallèlement, le cuisinier devait aussi apprendre un autre nouveau métier, celui d’agriculteur, pour pouvoir produire suffisamment de piments pour nourrir sa production. Son lopin de terre est donc passé de 400 à 6000 plants, et sa quarantaine de variétés à 53. Néanmoins, tout est demeuré à taille humaine dans cette exploitation très artisanale.

«Ce n’est pas compliqué, je fais tout moi-même. Je m’occupe des plants le lundi, je les cuisine le mardi, les embouteille le mercredi et les vends le vendredi. Je n’ai pas le choix, il faut être polyvalent.» Et lorsqu’on démarre sa petite entreprise, il faut compter sur tout le soutien possible. «Toute ma famille et mes amis ont embarqué dans l’aventure. Mon beau-père entretient le champ, mes parents vendent dans les marchés, ma femme et mes enfants cuisinent avec moi. Même les amis de mon fils aîné m’aident pour passer la tondeuse contre une bouteille. Sans cette aide bénévole, je n’y arriverais pas.»

Il faut dire que la passion de Pascal est communicative. Sa gamme de huit sirops de piments – qui va du sirop de poivrons ou de canneberges, tout en douceur, jusqu’au sirop de Carolina Pepper, considéré comme l’un des piments les plus forts au monde – constitue une mine infinie d’idées pour préparer des trempettes, réchauffer des grillades ou ajouter un petit kick à un dessert. L’approche est la même avec les quatre sauces barbecue des Pimentiers, tantôt douces et savoureuses comme celle des Prairies, composée de divers poivrons, d’herbes fraîches, d’oignon et d’ail, tantôt nettement plus relevées comme celle du Connaisseur, à la combinaison explosive de piment extra-fort, d’agrumes et d’estragon.

Mais ce qui surprend et séduit souvent le plus les passants est la gamme de sept sauces d’accompagnement qu’a conçue l’entrepreneur. Piquante aux fruits, à la sriracha, ou bien d’inspiration tex-mex, elle offre une grande variété de goûts et d’intensité. Jusqu’à la Main de Dieu qui, comme son nom le laisse présager, représente un défi dès qu’on veut la déguster. Son créateur l’a d’ailleurs baptisée «la lave»…


«Il y a tellement de piments qui existent et tellement de manières de les apprêter! explique Pascal. Certains d’entre eux sont sucrés et ont des arômes naturels d’agrumes, comme l’Aji Lemon (citronné) et l’Aji Pineapple (dont le goût rappelle l’ananas tout en étant très piquant). D’autres, comme le Petit Marseillais, à la chair jaune aux arômes de pêche, sont amenés à maturité comme on le ferait avec des raisins. Il y a aussi des piments au goût floral comme le Pettapew, ou bien fumé ou vinaigré. C’est très amusant de jouer avec les variétés, et surtout les intensités, pour réaliser des produits homogènes et savoureux, quel que soit le degré de piquant en bouche.»

L’entrepreneur a de l’ambition. Celle de grossir sa gamme de nouveaux produits avec des vinaigres à frites, par exemple. Celle, aussi, de pouvoir un jour embaucher des employés et de se concentrer sur le développement de sa marque de commerce et de sa distribution. «Sans rien sacrifier de la qualité, car nous avons une clientèle de connaisseurs qui apprécie l’originalité de notre approche», précise-t-il. Dans l’attente, secondé par sa femme, ses enfants, ses parents et ses amis, Pascal réalise son rêve… une bouteille de chaleur à la fois.

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